Wednesday 15 July 2020

Que signifie le tango pour chacun de nous

Pendant combien de temps les cours de technique et les prácticas masquées peuvent-ils remplacer
le tango qui était autrefois?

Traduit par François Camus
Lire la version originale en anglais ici

De toutes les activités qui ont été affectées par la pandémie actuelle de COVID, les activités sociales ont été les plus durement touchées, y compris le tango.

Pour ceux d'entre nous qui travaillent dans le tango, particulièrement ceux qui en vivent, cela signifie que nous avons été privés de nos moyens de subsistance et que notre avenir financier immédiat est sombre. De nombreux professionnels du tango repensent leur carrière. Des écoles et des milongas du monde entier ont fermé et certains enseignants cherchent une formation professionnelle dans d'autres domaines.

Les danseurs sociaux, ont eux aussi passé leur temps à l’écart du tango à réévaluer leur relation avec la danse. Pour plusieurs, l’arrêt du tango signifie qu’ils n’ont plus de vie sociale. Pour nous tous, cela a réduit ou éliminé l'activité qui nous passionne le plus. Certains danseurs restent en attente jusqu'à ce que les choses reviennent à leur état pré-COVID. D'autres utilisent leur temps pour apprendre et pratiquer comme ils le peuvent, espérant être de meilleurs danseurs lorsque les activités publiques reprendront. D'autres encore, ceux qui ont eu maille à partir avec le côté social complexe du tango, ont décidé de rendre cette pause permanente.

Pendant le confinement, lorsque nous ne pouvions sortir que pour faire l'épicerie ou pour promener le chien (si nous avions cette chance), les seules options disponibles dans le tango, à peu près à l'échelle planétaire, étaient les activités en ligne. De nombreux enseignants, moi y compris, ont sauté sur le train Zoom, offrant des cours virtuels pour les célibataires et les couples. Sur les réseaux sociaux, certaines personnes ont rejeté de telles offres. « Ce n'est pas du tango », ont déploré certains. « Je préfère ne pas danser plutôt que danser sans une véritable étreinte », ont insisté les autres. Qui peut leur en vouloir? Surtout pour ceux qui ne vivent pas avec un.e partenaire de tango, une leçon sur un écran d'ordinateur ne remplace pas des abrazos chaleureux dans une milonga animée.

Mais pour mon partenaire et moi, dont la vocation n'est pas seulement d’offrir des événements de tango amusants mais aussi de donner aux gens des outils pour bien danser afin qu’ils dansent toujours mieux et s'amusent encore plus lorsqu’ils vont aux événements, nous avons vu cette situation comme une occasion d'amener les gens à prendre le temps de travailler leur technique et d'améliorer leurs compétences.

Bien sûr, en tant que professeurs à temps plein et propriétaires de studio, nous avons une perspective différente de celle du danseur moyen qui va aux milongas. Mais là encore, nous enseignons parce que nous croyons à l'apprentissage. Et nous pensons que l'apprentissage n'est pas seulement le moyen de parvenir à une fin, c'est aussi la capacité de bien faire dans une milonga. Nous croyons aussi que de travailler dur et d’améliorer vos compétences en danse est enrichissant en soi. (Vous pouvez lire mon billet sur le sujet en cliquant ici.) Après tout, mon partenaire et moi sommes tellement passionnés par le tango que nous en avons fait l’œuvre de notre vie, bien que nous passions beaucoup plus de temps à apprendre, à pratiquer et à enseigner que nous n’en passons à danser socialement. 

Dans tous les cas, des étudiants ont joint nos cours en ligne, nous accompagnant au cours de notre propre courbe d'apprentissage de l'enseignement en ligne, dans certains cas jusqu'à ce jour. Quelques-uns, prenant les cours en solo ou avec partenaire, ont trouvé les cours extrêmement utiles, ils étaient motivés à pratiquer entre les leçons et ils ont fait des progrès notables. Bien sûr, les commentaires que nous pouvons donner aux étudiants sur un petit écran sont limités et l'aide pratique est inexistante, mais il y a encore beaucoup à gagner d'une pratique diligente... avec un coach pour vous guider.

Une autre chose que j'ai faite pendant le confinement a été de joindre une communauté de DJ néotango qui ont mis en place des « milongas » en ligne diffusées en direct. Ce n'était pas vraiment des milongas, c'était plutôt une émission de radio Internet. Est-ce la même chose d’être DJ pour un public invisible que pour les danseurs qui évoluent devant nous? Bien sûr que non. Mais c'était assez cool de savoir que les gens écoutaient ma musique en direct de partout dans le monde, de l'Amérique du Nord à l'Europe en passant par l'Australie. Et je pouvais discuter avec eux pendant qu'ils écoutaient, ce qui était amusant et différent tout en nous permettant de nous connecter avec des gens de tango d'autres communautés. Étonnamment, j'ai vu des échanges agressifs sur Facebook entre certains qui étaient impliqués dans le projet et dévoués à garder le tango vivant - en particulier le néotango - et ceux qui n’en veulent rien savoir. Bien sûr, ceux qui ont été DJ lors d’événements en ligne étaient heureux de partager leur musique et d'en discuter, tout en partageant un certain plaisir. Mais encore une fois, pour certains, cela constituait un mauvais substitut, point final. Pourquoi écouter des tandas si vous ne pouvez pas les danser? Les deux perspectives sont compréhensibles, c'est sûr. Ce qui m’était moins compréhensible, c'était qu'il y ait des bagarres d’opinions sur cette question. Pourquoi critiquer quelqu'un d’offrir un service simplement parce que vous n’êtes pas intéressés de l'utiliser? Et pourquoi critiquer quelqu'un parce qu’il ne désire pas le service que vous proposez?

Ici en juillet à Montréal, la courbe COVID s'est quelque peu aplatie et la ville s'est progressivement déconfinée (trop négligemment à mon avis, mais ce n'est pas le sujet de cet article). Premièrement, les magasins ont rouvert et les petits rassemblements en plein air ont été autorisés. Puis les garderies, les camps de jour et les sports de plein air ont ouvert. Les services thérapeutiques et esthétiques, tels que les dentistes, les physiothérapeutes, les massothérapeutes, les manucuristes et les coiffeurs ont repris le travail. Les restaurants et les bars ont rouvert. Et, enfin, les gymnases, les sports d'intérieur et, oui, les studios de danse. Mais… 

À juste raison, toutes ces activités sont sujettes à des limites. Les masques sont obligatoires ou fortement recommandés pour la plupart des activités intérieures, le nombre de participants est limité et les directives de distanciation sont toujours en place. Pour le tango, cela signifie que pour l'instant c'est une activité réservée aux couples. Dans notre studio, nous avons quelques cours de technique pour les danseurs solo. Pour les autres types de cours, les gens doivent venir avec leur propre partenaire et il n'y a aucun changement de partenaire dans aucun de ces cours ou pratiques. Le nombre de participants est également considérablement réduit afin que nous puissions assurer une distance physique sur et hors de la piste de danse. Pour le moment, il n’y a plus de milongas avec 50 ou 100 personnes qui se grouillent. Actuellement, notre activité la plus occupée est une courte pratique guidée que nous limitons à huit couples, ou 16 personnes, qui portent tous des masques. 

Cela m’attriste, car même si je suis l'un des chanceux qui a un très bon partenaire de tango, je n'ai jamais considéré le tango comme une activité de couple. C’est une activité sociale. Nous le dansons en couples, mais nous le partageons avec tous nos amis du tango. Je suis presque sûre que plus de gens vont aux milongas en tant que célibataires qu’en tant que couples, et même ceux qui se présentent en couple changent généralement de partenaire presque autant que quiconque. Nous savons tous que changer de partenaire améliore nos habiletés à guider et à suivre, tout en insufflant du piquant. J'ai ressenti un sentiment de culpabilité lorsque j'ai annoncé sur Facebook une activité réservée aux couples et que quelqu'un a réagi en affichant un visage triste. Malheureusement, c'est pour les couples seulement ou rien du tout. Nous préférons faire quelque chose que rien. Et vous savez quoi? C'est toujours une activité sociale. Toutes les personnes présentes partagent leur amour de la musique et de la danse. Ils se présentent derrière leur masque et discutent - à distance - de leurs expériences sur la façon dont les choses étaient, sont et seront. Alors, même si ce n'est pas le même tango que nous dansions il y a un an, c'est toujours du tango et c'est toujours un bon moment. 

Mon partenaire et moi, ainsi que de nombreux autres, craignons que le « retour à la normale » ne survienne pas avant longtemps. Certaines personnes prédisent qu'il faudra un an ou deux avant que nous ne soyons de retour dans des milongas bondées, changeant de partenaires à volonté. Avec optimisme, j'estime au moins six mois de plus de masques et de couples uniquement. En attendant, nous essayons d'évoluer avec la situation et de faire du tango ce qu'il peut être dans ce contexte: un ensemble de tandas en ligne, un cours de technique, une session de pratique pour les couples, un blog bien pensé. Certains danseurs sont heureux de chaque miette qu’ils peuvent avoir. Ils apprécient et savourent les petits morceaux en attendant que les choses reviennent un jour dans leur entièreté. Certains danseurs veulent le package complet – des pistes bondées, un choix de partenaires, des visages découverts – ou rien du tout.

Alors quel est le point que je tente d’emmener dans tout ceci? Le tango, pour moi, n'est pas qu'une chose et ce n'est pas un tout ou rien. Mais si c'est ce que c'est pour vous, si c'en est votre expérience, c'est un point de vue aussi valable que n'importe quel autre. Et tout comme je ne vous jugerai pas pour les compromis auxquels vous ne pouvez vous résoudre, vous ne devriez pas juger une autre personne qui fait du tango ce qu’elle peut en faire pour l'instant.

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En 2017 j'ai souligné mes 20 ans en tango en écrivant une série de 20 articles, ou leçons, que j’ai apprises au sujet et par l’intermédiaire de cette danse si plaisante et si exigeante.

Leçon no 15 : Travailler fort et avoir du plaisir ne sont pas mutuellement exclusif.

Quelque part entre les phases débutant et intermédiaire, il devient clair pour plusieurs sinon la plupart des élèves de tango que cette danse sociale amusante est plus difficile et requiert plus de travail qu’ils n’avaient anticipé.

Cette prise de conscience peut avoir une variété d’effets sur les personnes.

Certains concluent que de passer des heures à pratiquer chaque semaine et à subir des blessures à leur ego par les corrections qu’ils reçoivent de leurs enseignants n’est pas la plaisante activité de couple qu’ils avaient en tête et ils abandonnent.

D’autres continuent, mais ils cessent de progresser. Ils ont éventuellement acquis suffisamment de mouvements et de partenaires pour s’amuser aux milongas. Alors pourquoi tuer leur plaisir en travaillant des choses difficiles et ennuyantes telles que la posture et – beurk – la technique? Ils sont satisfaits de ce qu’ils ont atteint et ils ne se sentent pas motivés à aller plus loin.

Puis il y a ceux qui sont alimentés par les défis présentés par cette danse à la fois simple et complexe, et ils travaillent encore plus fort, se sentant récompensés chaque fois qu’ils surmontent une difficulté, pour n’être confrontés qu’à la difficulté suivante. Pour ces danseurs, le dur labeur n’est pas seulement un moyen pour atteindre une fin, c’est en lui-même une large part de leur plaisir.

Ce qu’il y a de bien, c’est que plus vous travaillez fort, plus ça devient facile. Au fur et à mesure que vous améliorez votre posture et votre alignement, que vous fortifiez vos jambes et développez vos habiletés de communication tango, plus l’effort physique et mental pour danser diminue ainsi que tout le multitâche que ça requiert. Alors, si vous avez l’impression de vouloir abandonner prochainement, je vous suggère de poursuivre votre lecture et de persévérer encore un peu.

Voici quelques façons d’avoir du plaisir tout en travaillant fort pour améliorer votre danse :

Concentrez-vous sur les choses importantes. Presque tous les débutants sont impressionnés par les mouvements élaborés qu’ils voient dans les spectacles et sur YouTube. Les danseurs se mettent de la pression (ainsi qu’à leurs partenaires) pour apprendre des tas et des tas de mouvements élaborés et d’en exécuter le plus possible à chaque danse. Vos enseignants vous disent sûrement que les mouvements ne sont pas la chose importante, mais ceci n’est pas facile à croire à nos débuts. Après tout, c’est difficile de comprendre l’importance d’une étreinte bienveillante et confortable, de la précision musicale et d’une maîtrise de l’art de naviguer la piste de danse quand on n’a pas encore ressenti le plaisir dérivé de ces choses. Que puis-je dire d’autre que: "Croyez-nous!" Quelques mouvements simples bien exécutés dans le cadre d’une étreinte confortable et sincère, une musicalité précise et enjouée, ainsi qu’un déplacement fluide sur la piste de danse sont un bien meilleur objectif et bien moins stressant que d’essayer de mémoriser et d’exécuter tous les mouvements et adornos fous que vous avez vus. Oui, vous avez besoin d’un vocabulaire, mais vous n’avez pas besoin d’utiliser tout votre vocabulaire tout le temps.

Croyez que le dur labeur apporte ses propres récompenses. Le processus d’apprentissage et de pratique ne sont pas qu’un moyen pour atteindre une fin. Il y a beaucoup de satisfaction à retirer du simple fait de faire un effort. Ceci est plus vrai en tango que nulle part ailleurs. Et bien des récompenses viendront automatiquement de ce travail, allant de devenir un partenaire de tango de plus en plus recherché, à l’amélioration des fonctions cérébrales (comme le démontrent de plus en plus d’études), au maintien d’une bonne posture et de la mobilité des articulations tout au cours de notre vie.

Concentrez-vous plus sur l’amélioration personnelle que sur ce que les autres font de mal. Concentrez-vous sur les défauts de votre partenaire et il est certain que vous en trouverez de plus en plus. Ceci mènera à de la frustration et de l’impatience des deux côtés. Mais concentrez-vous sur ce que vous pouvez faire pour rendre votre partenaire plus confortable et la danse se déroulera certainement plus en douceur, même si votre partenaire n’est pas très bon. Soyez contrarié chaque fois qu’un autre couple vous coupe ou est un peu trop près, et vous perdrez beaucoup de temps à vous sentir contrarié. Élaborez quelques solutions amusantes prêtes à utiliser face à ces réalités inévitables et vous pouvez transformer toute l’affaire en une sorte de jeu. Vous avez probablement entendu dire que vous ne pouvez pas contrôler les événements, seulement comment vous réagissez face à eux. Sur la piste de tango, ceci signifie que vous ne pouvez contrôler comment vont réagir votre partenaire ni les autres couples, mais vous avez le contrôle de la façon dont vous gérez votre réaction. Alors, lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu, ou qu’elles vont tout simplement mal, résistez à l’envie d’émettre des sons d’impatience ou de corriger votre partenaire. Choisissez plutôt d’examiner et de travailler vos habiletés: vous tenir plus droit, abaisser vos épaules, rapprocher vos jambes entre les pas, écouter davantage, ralentir. Vous aurez travaillé à vous améliorer, à donner à votre partenaire une expérience plus agréable et par la même occasion à faire de vous un danseur plus désirable.

Rappelez-vous que les autres ne sont pas responsables de vos mauvaises soirées. Parfois vous aurez de mauvaises soirées, peu importe qui vous êtes. Peut-être qu’à la leçon de la semaine dernière vous avez enfin senti que vous avanciez dans la courbe d’apprentissage. Mais ce soir, vous n’avez pas seulement atteint un plateau, vous avez frappé un mur. Peut-être que vous êtes arrivé à la milonga habillé sur votre 36 prêt à danser toute la nuit, mais vous n’avez obtenu que deux tandas et les deux étaient de qualité inférieure. Aussi dur que ce soit, la meilleure chose à faire est d’accepter qu’en effet, vous avez eu une soirée décevante, et passez à autre chose. Ne vous complaisez pas dans votre malheur, ne blâmez pas votre partenaire inadéquat, n’éprouvez pas de ressentiment envers votre enseignant ou les organisateurs de la milonga, et ne tenez pas rancune à tous les danseurs qui ne vous ont pas invité. Et n’allez pas non plus ventiler votre frustration partout sur Facebook. Ressentez comment vous vous sentez, acceptez les événements et ce que vous en pensez, puis faites ce que vous pouvez pour laisser aller. Ne laissez pas non plus une mauvaise soirée (ou même deux ou trois) vous détruire. Utilisez-le plutôt pour vous motiver à vous avancer sur la courbe d’apprentissage. Enregistrez-vous pour une leçon privée, demandez conseil à un enseignant ou à un danseur que vous admirez, faites des arrangements pour pratiquer avec un ami, prenez une entente avec votre partenaire d’être moins critiques l’un envers l’autre pendant les cours.

Tous les jours je vis cet équilibre entre travailler fort et s’amuser fort dans l’exploitation de mon entreprise. Oui, je travaille fort, très, très fort. Plusieurs personnes le font, et quiconque exploite de près une petite entreprise le fait. Le travail me dépasse parfois et il y a des jours que cela me déprime. Je me préoccupe de mes pieds blessés, je suis frustrée de ma propre danse, j’ai des confrontations avec mon partenaire (lequel travaille tout aussi fort), j’affronte une compétition agressive, je grimace face au solde de mon compte de banque… mais les récompenses! Je suis constamment entourée de mouvement, de musique et de merveilleuses personnes. À chaque semaine je danse, j’enseigne, j’organise des soirées et je crée des listes de lecture de mes musiques préférées. Alors j’ai aussi du plaisir. Tellement de plaisir. Non pas malgré, mais à cause du fait que je travaille vraiment, vraiment fort.