Traduit par André Valiquette
Les
enseignants autoproclamés sur le plancher de danse sont ma bête noire numéro 1,
je vous le confirme à titre de professeur de danse, d’organisatrice de milongas
et de danseuse!
Pour
qui que ce soit, autant les guideurs que les guidées, se faire reprendre ou
corriger par notre partenaire nous fait toujours nous sentir mal à l’aise,
d’une façon ou d’une autre. Premièrement, faire cela, c’est interrompre cette
conversation qu’est la danse, et lui laisser bien peu de chances de créer ce
moment spécial que l’on peut éprouver dans une connexion réussie.
Deuxièmement,
cela place « l’instructeur » dans une position d’autorité ou de
supériorité, méritée ou pas (sans doute pas). Avec pour résultat que
« l’élève » aura tendance à se sentir inférieure, ce qui gâche l’idée
d’un partenariat d’égal à égal.
Troisièmement,
le fait de donner des instructions à notre partenaire revient à lui faire
porter le blâme pour tout problème de communication, ce qui place cette
personne sur la défensive et entraîne des erreurs. Ces expériences négatives
peuvent être très fugaces pour un danseur qui a une certaine expérience et une
réserve de confiance en soi, mais elles peuvent aussi persister et gâcher le
reste de sa soirée, voire toute son expérience future en tango.
Faisons
preuve de plus d’empathie
Comme
enseignante, je désapprouve les « instructeurs » autoproclamés pour
plusieurs raisons, la moindre n’étant pas qu’ils nuisent au travail des vrais
professeurs. Nous possédons un entraînement, une expérience et une expertise
(en tout cas, les bons professeurs). Nous proposons une méthode que nous avons élaborée
durant plusieurs années. Nous connaissons des techniques à titre de danseurs et
d’enseignants. Et nous comprenons les deux rôles. Les professeurs peuvent
maîtriser à des niveaux différents « l’autre » rôle, mais un
enseignant digne de ce nom aura au moins acquis une solide compétence et,
encore plus important, une compréhension de ces deux mondes. Nous sommes donc
capables de voir les deux côtés de la médaille et d’imaginer des solutions, de
celles qui ne font pas porter le blâme à personne, mais permettent des
ajustements ou des améliorations des deux côtés. Tout danseur expérimenté peut
réaliser où est l'erreur, mais c’est seulement un professeur expérimenté qui
pourra mettre le doigt sur les causes sous-jacentes à de telles erreurs.
Imaginons
un couple de danseurs dont la guidée perd la connexion et, du même coup, son
équilibre, chaque fois qu’elle pivote d’une certaine façon. Son guideur peut observer
son « erreur » - par exemple, qu’elle a une posture asymétrique en
pivotant - alors, il pourrait lui
dire de ne pas se pencher ou de ne pas exercer de pression sur sa main. Mais ce
leader peut ne pas réaliser que, en réalité, il déstabilise sa partenaire en déplaçant
son bras, ou en changeant soudainement son axe et donc en lui rendant difficile
de garder une bonne posture. Réciproquement, une guidée, dans la même situation,
peut blâmer son guideur pour la déstabiliser dans les pivots, alors qu’en
réalité elle pourrait apporter elle-même certains ajustements - garder ses deux
pieds au plancher, orienter ses orteils vers l’extérieur, ne pas laisser aller
son bassin vers l’avant - pour rester droite et sur son axe, indépendamment des
capacités techniques du leader.
Dans
nos cours, nous décourageons ouvertement l’enseignement et les critiques entre
les danseurs même pendant les cours. C’est ce comportement qui engendre le plus
de plaintes, des personnes seules qui veulent changer de partenaire (ou
abandonner complètement), jusqu’aux couples qui prolongent jusqu’à la maison
les conflits amorcés sur la piste de danse. (Mon partenaire de danse et moi
avons souvent l’impression que nous donnons aussi un peu de thérapie de
couple.)
Même
les professeurs doivent se retenir de donner des conseils pendant une milonga.
Le code de conduite s’applique à nous aussi. Mieux, il faut donner l’exemple.
Quand nous dansons, nous ne sommes pas des professeurs, nous sommes des danseurs.
Nous enseignons à ceux qui nous demandent de leur donner des leçons, mais être
capables d’enseigner n’implique pas de se sentir obligés d’offrir des conseils
non désirés à tous ceux qui sont à notre portée, ou bien de modifier le style
ou la technique de chaque danseur avec qui nous sommes en contact. De toute
façon, nous méritons bien de laisser tomber notre chapeau de professeur pour
relaxer et profiter de la danse dans notre temps libre!
Bloquer
la circulation
À
titre d’animatrice de milongas, je n’apprécie pas ces leçons données à la sauvette
sur le plancher de danse parce qu’elles bloquent la circulation sur la piste et
même aux alentours. Le tango est une danse sociale, ce qui signifie que nous ne
dansons pas seulement avec notre partenaire, cela veut dire aussi que nous
dansons avec tous les autres couples qui sont sur le plancher. La fluidité de
la circulation est au mieux quand tous les danseurs font attention à ce qui se
passe autour d’eux tout en essayant d’avancer. Un couple qui est en panne sur
la piste, en train de se donner des leçons, de discuter ou de réviser une
figure, crée un goulot d’étranglement à sa suite et bloque la circulation.
Mais
comment cela bloque-t-il la circulation hors la piste de danse? Avec les
années, j’ai arrêté de compter le nombre de personnes qui se sont plaintes à
propos des partenaires qui jouent au professeur et formulent des remarques
condescendantes. J’ai vu des gens partir fâchés ou sur le bord des larmes après
une tanda particulièrement tendue parce que l’énergie et l’enthousiasme de leur
soirée avaient été gâchés par un partenaire insensible. Si un danseur a une
expérience négative à ma milonga, le succès de la soirée dans son ensemble est
affecté jusqu’à un certain point. Bien sûr, il n’est pas possible d’éviter des
difficultés de temps en temps, mais il y a une façon, pour chaque danseur, de
contribuer à un bon climat : ne jouez pas au professeur sur le plancher de
danse!
Des
émotions pénibles
Comme
danseuse, je déteste me faire donner la leçon et être corrigée ou évaluée
pendant que je danse parce que cela perturbe l’état d’abandon que j’apprécie
tant quand j’ai une bonne connexion. Aussi, ça fait remonter à la surface des
émotions pénibles comme la déception, un doute sur moi-même, une attitude défensive
ou du ressentiment. Des réponses sarcastiques me trottent dans la tête – mais
je suis polie et professionnelle, alors je les garde pour moi. Je rigole ou je
grince des dents le reste de la tanda et je fais de mon mieux pour éviter le
danseur à l’avenir.
Et je
suis chanceuse. Je danse la plupart du temps dans notre milonga, alors même les
pires « instructeurs » n’essaient pas de m’enseigner. Mais je reçois
de temps en temps un condescendant « muy bien » (qui est bien
intentionné, j’en suis sûre, mais qui fait l’effet d’une petite tape sur la
tête), et alors si un tanguero essaie de guider une séquence particulièrement
complexe de mouvements élaborés et si je rate quelque chose, il va essayer de
m’expliquer ce que « j’aurais dû » faire. En mon for intérieur, je
m’énerve : « Aurais-je dû? Vraiment? Et bien, tu aurais dû le guider correctement
si tu avais voulu que je le fasse. Et, au fait, essaie donc de tout simplement
marcher de temps en temps. Écoute la musique et mets donc la pédale douce pour
les rondes de ganchos et de volcadas... ». Mais en surface, je souris et
hoche la tête.
J’ai été
estomaquée quand une collègue professeure, une jeune et très talentueuse
tanguera, m’a dit qu’un danseur que nous connaissons – un de ceux qui ont la
réputation de déstabiliser les gens par des jugements et des remarques
condescendantes – l’a informée, donc, qu’elle était devenue une assez bonne
danseuse et qu’il lui donnait un « 7 ». Sur 10. Comme je le
disais : estomaquée.
Les
exemples que j’ai mentionnés ici illustrent de mauvais comportements des
leaders, puisque je suis une femme et que j’ai souvent le rôle de guidée, alors
c’est basé sur mon expérience. Mais les femmes aussi peuvent véhiculer ces
mauvais comportements d’offrir des conseils non désirés pour faire un bon abrazo,
marcher ou guider. Les hommes ont plein d’histoires à raconter où ils se
rappellent de petites remarques telles « Ça montre que tu ne pratiques pas
souvent ». Incroyable!
Et si
on commence à douter de soi-même quand on rencontre de telles situations,
rappelons-nous que les partenaires « instructeurs » qui corrigent
régulièrement leur partenaire ne sont pas eux-mêmes particulièrement bons sur
la piste. Pour les leaders, cela se manifeste lorsqu’ils essaient de faire des mouvements
qu’eux-mêmes ou leurs partenaires ne sont pas prêts à exécuter. Pour les
guidées qui donnent des conseils, cela laisse supposer que leurs capacités à
suivre sont encore en gestation. (Les bonnes guidées peuvent suivre tous les
guides, à tous les niveaux.) Ceux qui corrigent leur partenaire le font parce
qu’ils ne savent pas comment s’améliorer eux-mêmes.
Ne
me comprenez pas de travers, nous pouvons tous améliorer notre danse, amateurs
ou professionnels. (Comme professeur, je dois travailler plus fort que
quiconque sur ma technique pour présenter le meilleur exemple possible.) Mais
il y a un temps et une place pour enseigner et recevoir un enseignement, et la
milonga n’en est pas une.
Comme
danseurs, ce n’est pas à nous de faire entrer nos partenaires dans un moule idéal.
On ne devrait pas essayer de les façonner à notre image; il faut les accepter
comme ils sont et nous adapter à eux pour les 12 minutes de la tanda.
Cela, comme toujours, s’applique aux guideurs et aux guidées. Si chacun essaie
de s’adapter à l’autre, nous allons nous approcher davantage d’un axe équilibré
qui rend agréable notre expérience de danse.
Essayons
ceci : plutôt que de chercher ce qui a besoin d’être corrigé chez nos
partenaires, trouvons plutôt ce qui fonctionne bien dans leur danse. Peut-être
qu’untel a un bon sens du rythme et qu’une autre transmet une passion
authentique. Pourquoi ne pas
juste relaxer et apprécier un peu plus, laisser les leçons pour les périodes de
classe et garder nos jugements (et le pointage!) pour nous-mêmes. Et, comme je
le dis à mes enfants, si nous ne pouvons pas dire quelque chose de gentil,
mieux vaut ne rien dire du tout. (Bien que... il faut dire merci.)
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