Saturday, 21 February 2015

Pas de leçons sur la piste de danse SVP




Traduit par André Valiquette

Les enseignants autoproclamés sur le plancher de danse sont ma bête noire numéro 1, je vous le confirme à titre de professeur de danse, d’organisatrice de milongas et de danseuse!

Pour qui que ce soit, autant les guideurs que les guidées, se faire reprendre ou corriger par notre partenaire nous fait toujours nous sentir mal à l’aise, d’une façon ou d’une autre. Premièrement, faire cela, c’est interrompre cette conversation qu’est la danse, et lui laisser bien peu de chances de créer ce moment spécial que l’on peut éprouver dans une connexion réussie.

Deuxièmement, cela place « l’instructeur » dans une position d’autorité ou de supériorité, méritée ou pas (sans doute pas). Avec pour résultat que « l’élève » aura tendance à se sentir inférieure, ce qui gâche l’idée d’un partenariat d’égal à égal.

Troisièmement, le fait de donner des instructions à notre partenaire revient à lui faire porter le blâme pour tout problème de communication, ce qui place cette personne sur la défensive et entraîne des erreurs. Ces expériences négatives peuvent être très fugaces pour un danseur qui a une certaine expérience et une réserve de confiance en soi, mais elles peuvent aussi persister et gâcher le reste de sa soirée, voire toute son expérience future en tango.


Faisons preuve de plus d’empathie

Comme enseignante, je désapprouve les « instructeurs » autoproclamés pour plusieurs raisons, la moindre n’étant pas qu’ils nuisent au travail des vrais professeurs. Nous possédons un entraînement, une expérience et une expertise (en tout cas, les bons professeurs). Nous proposons une méthode que nous avons élaborée durant plusieurs années. Nous connaissons des techniques à titre de danseurs et d’enseignants. Et nous comprenons les deux rôles. Les professeurs peuvent maîtriser à des niveaux différents « l’autre » rôle, mais un enseignant digne de ce nom aura au moins acquis une solide compétence et, encore plus important, une compréhension de ces deux mondes. Nous sommes donc capables de voir les deux côtés de la médaille et d’imaginer des solutions, de celles qui ne font pas porter le blâme à personne, mais permettent des ajustements ou des améliorations des deux côtés. Tout danseur expérimenté peut réaliser où est l'erreur, mais c’est seulement un professeur expérimenté qui pourra mettre le doigt sur les causes sous-jacentes à de telles erreurs.

Imaginons un couple de danseurs dont la guidée perd la connexion et, du même coup, son équilibre, chaque fois qu’elle pivote d’une certaine façon. Son guideur peut observer son « erreur » - par exemple, qu’elle a une posture asymétrique en pivotant -  alors, il pourrait lui dire de ne pas se pencher ou de ne pas exercer de pression sur sa main. Mais ce leader peut ne pas réaliser que, en réalité, il déstabilise sa partenaire en déplaçant son bras, ou en changeant soudainement son axe et donc en lui rendant difficile de garder une bonne posture. Réciproquement, une guidée, dans la même situation, peut blâmer son guideur pour la déstabiliser dans les pivots, alors qu’en réalité elle pourrait apporter elle-même certains ajustements - garder ses deux pieds au plancher, orienter ses orteils vers l’extérieur, ne pas laisser aller son bassin vers l’avant - pour rester droite et sur son axe, indépendamment des capacités techniques du leader.

Dans nos cours, nous décourageons ouvertement l’enseignement et les critiques entre les danseurs même pendant les cours. C’est ce comportement qui engendre le plus de plaintes, des personnes seules qui veulent changer de partenaire (ou abandonner complètement), jusqu’aux couples qui prolongent jusqu’à la maison les conflits amorcés sur la piste de danse. (Mon partenaire de danse et moi avons souvent l’impression que nous donnons aussi un peu de thérapie de couple.)

Même les professeurs doivent se retenir de donner des conseils pendant une milonga. Le code de conduite s’applique à nous aussi. Mieux, il faut donner l’exemple. Quand nous dansons, nous ne sommes pas des professeurs, nous sommes des danseurs. Nous enseignons à ceux qui nous demandent de leur donner des leçons, mais être capables d’enseigner n’implique pas de se sentir obligés d’offrir des conseils non désirés à tous ceux qui sont à notre portée, ou bien de modifier le style ou la technique de chaque danseur avec qui nous sommes en contact. De toute façon, nous méritons bien de laisser tomber notre chapeau de professeur pour relaxer et profiter de la danse dans notre temps libre!


Bloquer la circulation

À titre d’animatrice de milongas, je n’apprécie pas ces leçons données à la sauvette sur le plancher de danse parce qu’elles bloquent la circulation sur la piste et même aux alentours. Le tango est une danse sociale, ce qui signifie que nous ne dansons pas seulement avec notre partenaire, cela veut dire aussi que nous dansons avec tous les autres couples qui sont sur le plancher. La fluidité de la circulation est au mieux quand tous les danseurs font attention à ce qui se passe autour d’eux tout en essayant d’avancer. Un couple qui est en panne sur la piste, en train de se donner des leçons, de discuter ou de réviser une figure, crée un goulot d’étranglement à sa suite et bloque la circulation.

Mais comment cela bloque-t-il la circulation hors la piste de danse? Avec les années, j’ai arrêté de compter le nombre de personnes qui se sont plaintes à propos des partenaires qui jouent au professeur et formulent des remarques condescendantes. J’ai vu des gens partir fâchés ou sur le bord des larmes après une tanda particulièrement tendue parce que l’énergie et l’enthousiasme de leur soirée avaient été gâchés par un partenaire insensible. Si un danseur a une expérience négative à ma milonga, le succès de la soirée dans son ensemble est affecté jusqu’à un certain point. Bien sûr, il n’est pas possible d’éviter des difficultés de temps en temps, mais il y a une façon, pour chaque danseur, de contribuer à un bon climat : ne jouez pas au professeur sur le plancher de danse!


Des émotions pénibles

Comme danseuse, je déteste me faire donner la leçon et être corrigée ou évaluée pendant que je danse parce que cela perturbe l’état d’abandon que j’apprécie tant quand j’ai une bonne connexion. Aussi, ça fait remonter à la surface des émotions pénibles comme la déception, un doute sur moi-même, une attitude défensive ou du ressentiment. Des réponses sarcastiques me trottent dans la tête – mais je suis polie et professionnelle, alors je les garde pour moi. Je rigole ou je grince des dents le reste de la tanda et je fais de mon mieux pour éviter le danseur à l’avenir.

Et je suis chanceuse. Je danse la plupart du temps dans notre milonga, alors même les pires « instructeurs » n’essaient pas de m’enseigner. Mais je reçois de temps en temps un condescendant « muy bien » (qui est bien intentionné, j’en suis sûre, mais qui fait l’effet d’une petite tape sur la tête), et alors si un tanguero essaie de guider une séquence particulièrement complexe de mouvements élaborés et si je rate quelque chose, il va essayer de m’expliquer ce que « j’aurais dû » faire. En mon for intérieur, je m’énerve : « Aurais-je dû? Vraiment? Et bien, tu aurais dû le guider correctement si tu avais voulu que je le fasse. Et, au fait, essaie donc de tout simplement marcher de temps en temps. Écoute la musique et mets donc la pédale douce pour les rondes de ganchos et de volcadas... ». Mais en surface, je souris et hoche la tête.

J’ai été estomaquée quand une collègue professeure, une jeune et très talentueuse tanguera, m’a dit qu’un danseur que nous connaissons – un de ceux qui ont la réputation de déstabiliser les gens par des jugements et des remarques condescendantes – l’a informée, donc, qu’elle était devenue une assez bonne danseuse et qu’il lui donnait un « 7 ». Sur 10. Comme je le disais : estomaquée.

Les exemples que j’ai mentionnés ici illustrent de mauvais comportements des leaders, puisque je suis une femme et que j’ai souvent le rôle de guidée, alors c’est basé sur mon expérience. Mais les femmes aussi peuvent véhiculer ces mauvais comportements d’offrir des conseils non désirés pour faire un bon abrazo, marcher ou guider. Les hommes ont plein d’histoires à raconter où ils se rappellent de petites remarques telles « Ça montre que tu ne pratiques pas souvent ». Incroyable!

Et si on commence à douter de soi-même quand on rencontre de telles situations, rappelons-nous que les partenaires « instructeurs » qui corrigent régulièrement leur partenaire ne sont pas eux-mêmes particulièrement bons sur la piste. Pour les leaders, cela se manifeste lorsqu’ils essaient de faire des mouvements qu’eux-mêmes ou leurs partenaires ne sont pas prêts à exécuter. Pour les guidées qui donnent des conseils, cela laisse supposer que leurs capacités à suivre sont encore en gestation. (Les bonnes guidées peuvent suivre tous les guides, à tous les niveaux.) Ceux qui corrigent leur partenaire le font parce qu’ils ne savent pas comment s’améliorer eux-mêmes. 

Ne me comprenez pas de travers, nous pouvons tous améliorer notre danse, amateurs ou professionnels. (Comme professeur, je dois travailler plus fort que quiconque sur ma technique pour présenter le meilleur exemple possible.) Mais il y a un temps et une place pour enseigner et recevoir un enseignement, et la milonga n’en est pas une.

Comme danseurs, ce n’est pas à nous de faire entrer nos partenaires dans un moule idéal. On ne devrait pas essayer de les façonner à notre image; il faut les accepter comme ils sont et nous adapter à eux pour les 12 minutes de la tanda. Cela, comme toujours, s’applique aux guideurs et aux guidées. Si chacun essaie de s’adapter à l’autre, nous allons nous approcher davantage d’un axe équilibré qui rend agréable notre expérience de danse.

Essayons ceci : plutôt que de chercher ce qui a besoin d’être corrigé chez nos partenaires, trouvons plutôt ce qui fonctionne bien dans leur danse. Peut-être qu’untel a un bon sens du rythme et qu’une autre transmet une passion authentique. Pourquoi ne pas juste relaxer et apprécier un peu plus, laisser les leçons pour les périodes de classe et garder nos jugements (et le pointage!) pour nous-mêmes. Et, comme je le dis à mes enfants, si nous ne pouvons pas dire quelque chose de gentil, mieux vaut ne rien dire du tout. (Bien que... il faut dire merci.)

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