Thursday 10 February 2022

Les limites de la liberté

Les danseurs de tango sont libres,
mais dans certaines limites.


Traduit par François Camus
Lire la version originale en anglais ici

On a beaucoup parlé de liberté ces derniers temps. Ce que nous sommes libres de faire et de ne pas faire, ce que nous sommes libres de porter et de ne pas porter, où nous sommes libres d'aller et de ne pas aller.

Je suis une grande partisane de la liberté. Liberté de choix, d'expression, de religion. Mais la liberté dans une société civilisée ne signifie pas que nous pouvons faire tout ce que nous voulons. La société a des règles et des lois que nous sommes obligés de suivre ou nous en subissons les conséquences. Nous sommes «libres», oui, mais dans certaines limites. Nous ne sommes pas libres de tuer des gens. Nous ne sommes pas libres d'agresser physiquement les gens. Nous ne sommes pas libres de voler les autres. Nous ne sommes pas libres de conduire de manière erratique à n'importe quelle vitesse, de fumer où nous voulons ou de placer nos enfants à l'arrière de la voiture sans sièges ni ceintures de sécurité. En général, les gens acceptent ce genre de limites. Parfois, certains d'entre nous considèrent certaines limites comme injustes et luttent alors pour le changement. C'est ainsi par exemple que les femmes ont obtenu le droit de vote et les homosexuels ont obtenu le droit de se marier. Mais même lorsque nous considérons certaines limites inappropriées, la plupart d’entre nous admettons qu’il est normal d’imposer des limites à nos libertés. Être libre ne signifie pas que nous pouvons absolument tout faire, car à peu près tout ce que nous faisons affecte ceux qui nous entourent.

En tango, l'idée de liberté - ou de son absence - revient souvent, en particulier dans le rôle de guidée. Les observateurs du tango et les novices voient souvent la danse comme une relation dominant-soumise ou actif-passif, mais c'est une fausse idée. Une partie de cette fausse idée vient des termes mêmes de «guideur» et de «guidée», qui sont à mon avis des étiquettes trompeuses et problématiques. (Vous pouvez lire davantage sur ce sujet dans mon article sur la terminologie du tango.) Les limites les plus évidentes à la liberté de la guidée sont celles établies par le guideur, mais le rôle de la guidée est loin d'être passif et plus nous, les guidées, sommes habiles, plus nous nous rendons compte que nous sommes en fait assez libres à l'intérieur du cadre établi par notre partenaire, la musique et l'espace dans lequel nous dansons. Si nous nous contentons de lancer nos jambes n’importe comment et d'exprimer la musique comme elle nous émeut en accordant peu d’attention à ce que notre partenaire suggère, nous pouvons nous sentir libres, mais nous ne dansons pas en partenariat, donc nous ne dansons pas vraiment le tango. Trouver notre liberté à l'intérieur du cadre imposé est en fait l'un des défis amusants et enrichissants du rôle de guidée en tango.

Les guideurs ont également des limites. Eux aussi doivent suivre et s'adapter à leurs partenaires ainsi qu'à la musique et au flux de la circulation sur la piste de danse. S'ils guident simplement tout ce qu'ils veulent, ignorant si leur partenaire est prête, les particularités de la musique ou la présence des autres danseurs, ils pourraient considérer cela une expression de leur liberté, mais ce serait aussi manquer de considération et ce serait désagréable pour tout le monde impliqué.

Est-ce une atteinte à notre liberté que l’on s’attende à ce que nous limitions nos mouvements à ceux qui respectent nos partenaires, la musique et les autres danseurs? Ces attentes sont-elles raisonnables si nous voulons tous faire partie de la communauté qu’est une milonga?

Je crois que souvent, lorsque les danseurs se sentent limités ou confinés par des facteurs tels que le rythme, le flux sur la piste ou le partenaire, ce n'est pas vraiment une question de liberté ou de manque de liberté, c'est une question de difficulté et de résistance à travailler sur quelque chose qui est, franchement, difficile. Pour les guideurs, l'une des parties les plus difficiles de l'apprentissage du tango est d’apprendre à suivre le flux de la piste de danse, ce qui implique de rester dans sa voie, de maintenir une distance constante avec le couple devant vous et de vous adapter à des situations en continuel changement. Vous avez enfin compris comment enchaîner certains mouvements et les guider clairement à une partenaire, puis vous allez à votre première milonga et vous ne pouvez pas en faire la moitié car vous devez constamment vous arrêter, ralentir et changer votre plan en fonction de ce qui se passe tout autour de vous. C’est certes frustrant, mais c’est une partie nécessaire du processus d’apprentissage. Ce n’est pas une question de liberté, mais de respect. Le tango est une danse sociale, ce qui signifie que nous ne dansons pas seuls et que nous ne dansons pas uniquement pour notre plaisir personnel. Dans un cours, une pratique ou une milonga, nous faisons partie d'une communauté, nous ne pouvons donc pas être trop individualistes, sans tenir compte de l'effet que nos actions pourraient avoir sur ceux qui nous entourent.

C'est une comparaison surutilisée, mais lorsque vous conduisez sur l'autoroute, reculez-vous en sens contraire de la circulation, changez-vous de voie sans regarder au préalable, roulez-vous à la vitesse qui vous convient et zigzaguez-vous chaque fois qu'une voiture est devant vous? Probablement non, espérons-le. Et vous ne vous plaignez probablement pas que c’est une violation de votre liberté d’éviter de faire ces choses. Vous acceptez que pour avoir le privilège d'être autorisé à conduire, vous devez assumer la responsabilité de suivre le code de la route. De même, apprendre à danser au sein de la communauté du tango est difficile, mais n’utilisez pas votre liberté personnelle comme une excuse pour ne pas faire face à la partie la plus difficile du travail.

Lorsque les danseurs roulent des yeux avec impatience quand les enseignants insistent pour qu'ils écoutent et suivent le rythme de la musique, protestent-ils vraiment contre le manque de liberté de danser comme ils le veulent et d'exécuter leurs mouvements sophistiqués, ou est-ce une excuse car il est difficile d'apprendre la musicalité si elle ne vient pas naturellement?

La liberté a des limites. Parfois, ces limites sont agaçantes. Je sais que j'ai été ennuyée quand j'ai dû attendre six mois et payer des centaines de dollars pour obtenir un permis pour changer les balustrades du balcon de ma maison. «C’est ma maison et je devrais pouvoir en faire ce que je veux!» ai-je dit plusieurs fois avec frustration. Bien que je soutienne que la longue attente et les frais élevés étaient disproportionnés avec un changement aussi mineur, la nécessité de demander des permis existe pour de bonnes raisons. Dois-je être autorisée à construire ma maison pour qu'elle bloque la vue et la lumière du soleil de tous mes voisins? Puis-je installer une statue pornographique géante sur ma pelouse? Les limites à notre liberté sont normales, parce que ma liberté ne devrait pas vous créer un grand inconfort ou un danger. Lorsque nous faisons partie d’un tout collectif, et nous le sommes, c’est juste égoïste, immature et naïf de penser que la liberté signifie le droit de faire tout ce que nous voulons. Bien sûr que certaines limites sont injustes, nous pouvons et devons travailler pour les changer lorsqu'elles sont carrément erronées ou dépassées. Mais lorsque nous crions à la liberté, nous devons nous assurer que nous n’exprimons pas simplement la frustration que nous ressentons en réaction aux inconvénients mineurs que nous subissons afin de nous assurer que les vrais enjeux soient pris au sérieux.

Un autre enjeu qui est présentement au coeur des préoccupations tant à l'intérieur qu’à l'extérieur du tango est l'hygiène personnelle.

Pour en revenir à l'époque pré-COVID, les gens étaient certainement libres de ne pas se laver les mains après avoir utilisé les toilettes. Ils n’auraient pas été arrêtés pour ne pas l’avoir fait. Mais je pense que la plupart des danseurs seraient d’accord pour dire que c’est insalubre, irrespectueux et, enfin, dégoûtant de ne pas le faire, en particulier au tango où vous allez tenir un grand nombre d’autres danseurs avec vos mains pleines de germes. Les gens sont également libres de ne pas se brosser les dents ni de porter de déodorant. Mais dans la communauté du tango, où les membres passent la plupart de leur temps en contact très étroit les uns avec les autres, le lavage des mains, le brossage des dents et le port de déodorant sont vraiment le strict minimum en termes d'actes de respect en matière d'hygiène.

Maintenant, à l’ère de la COVID, des mesures d'hygiène plus strictes sont en place partout pour des raisons de santé beaucoup plus urgentes. On dit à tout le monde de se laver les mains plus soigneusement et plus souvent que jamais et de porter des masques pour aider à protéger non pas le confort mais la santé et la sécurité de ceux qui nous entourent. Et un nombre surprenant de personnes se portent aux armes relativement à cette atteinte à leur liberté. Eh bien, oui ce l’est. Tout comme les autres règles de sécurité comme ne pas fumer dans les bureaux et les restaurants, porter une ceinture de sécurité dans votre voiture et ne pas porter d'armes dans une école ou un avion. Ce sont toutes des atteintes à nos libertés personnelles, mais elles concernent la santé et la sécurité de tous.

Je me souviens qu'il y a quelques années, un danseur que je ne connaissais pas avait décidé de changer radicalement son style de vie. Il a abandonné sa maison et sa carrière pour suivre une voie de yoga, de méditation et une vie de nomade. Nous ne l’avons pas vu pendant plusieurs mois. Puis un jour, il s’est présenté au tango pieds nus, avec la barbe broussailleuse, portant un débardeur, ses aisselles poilues et, franchement, très odorantes bien à la vue. «Les odeurs des gens ne m'offensent pas», a-t-il mentionné à un moment donné. (Peut-être avait-il entendu quelqu'un commenter le sien?) Vraiment, je respecte cela. Je suis plus anticonformiste que conformiste et je pense que les gens devraient être autorisés à s'habiller comme ils le souhaitent et à ne pas porter de déodorant s'ils ne le souhaitent pas. Mais qu'en est-il dans une milonga? Il a dansé avec quelques femmes qui se sont ensuite plaint à mon partenaire et moi de son odeur et nous étions déchirés: Lui demandons-nous de partir pour le confort des autres ou respectons-nous sa liberté de se laver et de s'habiller à sa guise? En fin de compte, il n’est pas resté longtemps et nous ne l’avons pas revu depuis. Nous n’avons jamais eu à traiter ce dilemme particulier.

En tango, nous nous rapprochons beaucoup des autres. Les odeurs personnelles offensent beaucoup de gens, et si vous allez danser en étroite étreinte avec d'autres personnes, la plupart de ces personnes ne veulent probablement pas sentir votre sueur vieille de trois jours et sentir vos poils humides collés contre leur peau. Si vous refusez de prendre en considération le confort des autres, alors que vous exprimez peut-être votre propre liberté de choix, vous ignorez également la liberté de votre entourage de profiter d’un environnement agréable. 

Le fait de devoir suivre notre partenaire, de synchroniser nos pas à la musique et de respecter l'espace des autres danseurs inhibe notre liberté de choix et de mouvement sur la piste de danse. Mais si nous ne faisons pas ces choses, nous ne tenons pas compte des autres sur la piste, ni de la danse elle-même. Et si nous allons trop loin, les responsables de l'établissement devraient se sentir libres de nous demander de partir. 

La communauté de tango est toujours le reflet de l’ensemble de la société, et les similarités susmentionnées relatives à la liberté dans les limites de ces contraintes me sont apparues ces derniers temps. Dans le tango comme dans la vie, nous sommes libres de bouger et de nous exprimer, mais cette liberté est limitée par une structure que nous devons respecter ou nous n'aurons pas de tango, nous aurons le chaos.

Sunday 2 January 2022

Des mots qui inspirent : la pratique

La pratique en solo est l'un des meilleurs moyens
pour améliorer votre danse.

Traduit par François Camus
Lire la version originale en anglais ici

Ces jours-ci je reviens souvent à ce mot.

Puisque que je suis enseignante, je rappelle presque toujours aux gens de pratiquer, mais le mot «pratiquer» a des significations sous-jacentes profondément bénéfiques.

Alors que nous nous dirigeons vers l'An 3 de la pandémie de COVID-19, la danse, en particulier la danse sociale, a été arrêtée à divers degrés pendant tout ce temps, de nombreuses personnes ont déploré à plusieurs reprises la «mort» du tango. À Montréal, les milongas intérieures ont finalement rouvert en novembre dernier – pour être fermées à nouveau un mois plus tard. Donc, de nos jours, si nous voulons continuer à danser, nous ne pouvons que pratiquer. Là encore, toute danse est, en fait, de la pratique, n'est-ce pas?

S'il est vrai que de nombreux événements de danse sociale ont été annulés au cours des deux dernières années, certaines personnes ont trouvé des moyens de continuer à danser tout au long des fermetures et des réouvertures apparemment sans fin, suivant des cours en ligne avec ou sans partenaire, prenant des cours privés lorsque cela était possible et travaillant seul à la maison.

En plus du tango, j'enseigne aussi le yoga. Je donne des cours, mais je prends aussi des cours hebdomadaires et j'ai une pratique personnelle régulière. Parce que le yoga est une pratique. C'est ce que disent les yogis : nous ne faisons pas de yoga; nous pratiquons le yoga. Contrairement au tango, le yoga n'est pas avant tout une activité sociale, le but de sa pratique n'est donc pas quelque chose «d’autre», comme aller aux milongas et danser avec nos partenaires de choix. Le but de la pratique de yoga en est la pratique elle-même. Cela apportera une amélioration continue de la pratique, qui apportera à son tour des avantages à notre corps et à notre vie, tels que des jambes plus fortes, une meilleure posture et peut-être un esprit plus calme. Hmmm. Nous pouvons également tirer des bénéfices similaires de la pratique de notre danse.

Je souhaite souvent que le tango soit vu de la même manière. La plupart des danseurs sociaux arrêtent très tôt de suivre des cours réguliers, souvent après un an ou deux. La grande majorité des danseurs de tango suivent quelques sessions de cours réguliers, puis ils regardent de haut les offres de leurs studios locaux, choisissant d'arrêter complètement de suivre des cours ou de ne prendre que des cours donnés dans des festivals par les maestros invités.

Dans les cours en groupe, la plupart des gens veulent juste monter, monter, monter, plutôt que d'apprendre simplement pour apprendre. Je dis la plupart des gens, car il y a bien sûr des exceptions. Il y a ceux qui prennent régulièrement des cours privés pendant des années et ceux qui préfèrent les pratiques aux milongas. Alors qu'un système de cours en groupe par niveaux s'est avéré le plus commercialisable, offrant aux étudiants un sentiment de progression et d'accomplissement, il a pour malheureux effet d'encourager les étudiants à se précipiter d'un niveau au suivant et à se sentir découragés si les enseignants leur suggèrent de répéter un cours. Je me souviens avec émotion d'un étudiant qui n'était libre qu'un soir par semaine, je pense que c'était le mardi, et pendant des années, il s'est simplement inscrit aux cours que nous proposions le mardi soir. Peu importait qu'il s'agisse de milonga, de vals, d'un cours avancé sur les sacadas ou les boleos, ou de Tango 1, 2 ou 3; il était toujours là et il apprenait toujours quelque chose.

Beaucoup de satisfaction peut être trouvée juste en faisant un effort. C'est aussi vrai dans le tango qu'ailleurs. Les effets secondaires positifs abonderont, allant de devenir un partenaire de tango de plus en plus recherché, à l'amélioration de la fonction cérébrale (comme le montrent de plus en plus d'études), au maintien d'une bonne posture tout au long de notre vie.

L'entrée du dictionnaire Oxford pour le mot « pratiquer » comprend deux définitions soulignant l'idée que nous pouvons pratiquer afin d'atteindre un objectif ou simplement pour les avantages de la pratique elle-même :

1. Effectuer (une activité) … à plusieurs reprises ou régulièrement afin d'améliorer ou de maintenir ses compétences.

2. Effectuer ou exécuter (une activité, une méthode ou une coutume particulière) de manière habituelle ou régulière.

Il est clairement important de pratiquer. Mais si l'on veut vraiment s'améliorer, il est tout aussi nécessaire de bien pratiquer. Nous connaissons tous l'expression «la pratique rend parfait», mais certains ont soutenu qu'un meilleur dicton est «la pratique rend permanent». Cela implique deux choses : que pratiquer régulièrement aura des effets à long terme, mais aussi que pratiquer quelque chose de la mauvaise manière ne servira qu'à enraciner davantage les mauvaises habitudes.

Une chose que nous voyons tout le temps sur la piste de danse et que les professeurs déplorent, ce sont des danseurs qui dansent dans les milongas depuis une décennie ou plus avec une mauvaise technique avec peu ou pas d'amélioration. Je le vois aussi dans la posture. Une mauvaise posture se développe tout au long de la vie. Si vous êtes assis, affaissé, courbé pendant huit heures par jour ou plus pendant 30 ans, votre corps adoptera progressivement une forme arrondie et voûtée. Si vous vous initiez à quelque chose comme le tango et souhaitez améliorer votre posture (et donc votre élégance et votre équilibre) pendant que vous dansez, vous devrez passer pas mal de temps à pratiquer de nouvelles habitudes posturales, sur et en dehors de la piste de danse. Je ne peux pas vous dire combien de fois que je suggère à quelqu'un de relever la tête ou la poitrine, et que je me fais répondre sommairement : «C'est comme ça que je suis fait.» Bien sûr, je ne peux pas forcer quelqu'un à travailler sur quelque chose qui ne l'intéresse pas, mais je dois admettre que ce genre de remarque me rend dingue. Si des années d'affaissement quotidien peuvent arrondir votre dos, une pratique quotidienne soutenue pour se tenir droit peut certainement le redresser, au moins quelque peu. Cela améliorerait non seulement votre tango, mais aussi la force de votre dos, votre respiration et votre confiance en vous.

Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez rien apprendre en dansant dans les milongas. Les précieuses compétences que vous perfectionnerez sur une piste de danse bondée incluent des capacités de navigation et de réagir instantanément, l'adaptabilité à différents partenaires et les habiletés d'improvisation. Sans parler des compétences sociales telles que l'utilisation du système de mirada-cabeceo et comment gérer le rejet avec élégance. De plus, vous ne pouvez pas (ou du moins ne devriez pas) obtenir ou donner des commentaires sur votre danse dans une milonga comme vous pourriez le faire dans un cours ou même une séance de pratique sérieuse avec votre partenaire. Si votre technique est déjà excellente, vous pouvez la renforcer par la danse sociale, mais si ce n'est pas le cas, vous vous retrouverez probablement à renforcer encore plus vos mauvaises habitudes.

Beaucoup de danseurs de tango détestent l'idée de la pratique en solo, la jugeant inutile - puisque le tango est censé être dansé avec un.e partenaire - ou la jugeant tout simplement ennuyeuse. L'un des cours que mon partenaire et moi avons le plus enseigné pendant la pandémie s'appelle Tango Drills. Dans celui-ci, nous faisons quelques exercices techniques puis nous enseignons de courtes séquences sur la musique, nous les répétons et les combinons, nous répétons encore et recombinons. C'est un excellent cours pour ces temps de COVID, car vous n'avez pas besoin d'un.e partenaire et cela fonctionne aussi bien en ligne qu'en personne. Au cours de l'été, nous l'avons enseigné plusieurs fois dans le parc et nous avons publié en ligne une vidéo du cours. Un commentateur a fait la remarque : «Ce n'est pas du tango, c'est de la danse en ligne.» Oh, comme j'aime quand les gens expriment leurs opinions arrêtées sur ce que le tango «est» et «n'est pas». Mais c'est hors de mon propos, lequel est que la pratique en solo est l'un des meilleurs moyens d'améliorer votre danse. Si vous pouvez exécuter des giros et des ochos seul avec de l'équilibre, du style et de la musicalité, vous ne serez pas un lourd fardeau pour votre partenaire parce que vous vous accrochez à lui pour votre survie, ou que vous vous précipitez d'une étape à l'autre pour éviter de perdre votre équilibre, ou en vous fiant uniquement à sa capacité de suivre le rythme de la musique. Tous ceux qui ont suivi nos drills au cours des deux dernières années sont d'accord : leur danse s'est améliorée.

Souvent, un peu de pratique fait beaucoup de chemin. Lorsque j'enseigne à quelqu'un et que je remarque une amélioration de leurs compétences entre les cours, je leur demande : «Vous êtes-vous pratiqué?» Leur réponse est presque inévitablement «Oui». Même si cela signifie qu'ils n'ont pratiqué que 20 minutes une fois entre les cours, cela se voit toujours.

À l'autre extrémité du spectre, il y a les étudiants qui s'éloignent ou s'assoient chaque fois que nous enseignons un exercice en solo pendant un cours. Je me souviens d'un étudiant en particulier qui se tenait là à regarder le reste du groupe répéter ses croisés arrières. Nous l'avons encouragé à participer, mais il a refusé en disant : «Oh, je l'ai déjà appris.» Il ne voyait tout simplement pas l'importance de répéter une chose pour mieux la faire. Dans sa tête, s'il l'avait essayé une fois et l'avait compris, cela suffisait et il était temps de passer à autre chose.

Les deux dernières années, avec toutes leurs turbulences et leur imprévisibilité, ont été l'occasion de pratiquer beaucoup de choses : patience, acceptation, lâcher prise, gratitude. Parfois, ce n'est pas facile. Nous avons dû être patients, confinement après confinement, et nous avons dû accepter tant de choses, les constants changements de normes, les politiques et les croyances extrêmement différentes des membres de notre famille, de nos amis et de nos connaissances. Au cours des dernières semaines, le nombre de cas de COVID au Québec est monté en flèche, et lorsque mon école de danse a de nouveau été fermée et que plusieurs membres de la famille ont attrapé le virus (moi y compris et malgré le fait que nous soyons prudents et entièrement vaccinés), mettant fin à nos plans de Noël, c'était facile se sentir victime et de se plaindre : «Pourquoi moi? Pourquoi nous?» Puis j'ai eu ma pratique quotidienne du yoga, qui comprend toujours un rappel de pratiquer la gratitude, et j'ai pensé aux nombreuses choses pour lesquelles je dois être reconnaissante : ma famille, une maison chaude, de la nourriture sur la table, un corps sain qui est capable de lutter contre la maladie, et l'accès aux vaccins qui l'aident à le faire. En pratiquant la gratitude, il ne faut pas longtemps pour la ressentir et devenir reconnaissant.

J'aime me considérer comme une personne ouverte d'esprit et sans jugement. Mais tout le monde juge, du moins parfois, même moi! Alors que puis-je faire à ce sujet? Il est difficile de changer nos réflexes ou nos réponses automatiques, et de temps en temps je pourrais voir quelqu'un qui est habillé «drôlement» ou «mal» et je pourrais penser, «Beurk! Qu'est-ce qu'ils portent?» Mais ensuite, je me rappelle consciemment de ne pas juger les gens, m'entraînant à ne pas porter de jugement, même lorsque mon premier réflexe était de le faire.

Il en va de même dans le tango. Si, par exemple, vous avez l'habitude de soulever et de tendre vos épaules lorsque vous dansez, prendre conscience de cette tendance est un premier pas. Vous pourriez avoir besoin de plusieurs rappels de la part d'un enseignant ainsi que de quelques techniques pratiques pour détendre vos épaules et les placer correctement. Ensuite, vous devez vous pratiquer. Vos épaules continueront de se soulever et de se tendre, mais vous le remarquerez et vous vous corrigerez encore et encore jusqu'à ce que vous changiez enfin les réflexes de votre corps et que maintenir vos épaules vers le bas devienne normal. Cela peut prendre beaucoup de temps et beaucoup de répétitions, mais l’effort deviendra beaucoup moins conscient jusqu'à ce qu'un jour la correction se fasse sans effort.

À peu près tout ce que nous répétons dans notre vie quotidienne pourrait être considéré comme une pratique, qu'elle soit intentionnelle ou non. Quand il s'agit de choses que vous aimeriez améliorer, que ce soit votre danse ou votre attitude, pourquoi ne pas en faire une pratique consciente? Les avantages seront certainement nombreux et de grande portée.