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Le
tango dansé est fondé sur la connexion. Connexion avec notre partenaire, bien
sûr, mais il y a d’autres liens à explorer si nous voulons danser le tango en
nous réalisant totalement, dans le plaisir. Il y a cinq domaines où nous avons besoin d’établir une
connexion approfondie dans le but de raffiner notre danse et notre expérience
de celle-ci.
photo : Jacques Guibert |
Connexion un : le partenaire.
C’est la connexion la plus manifeste, qui fait consensus. Le vieux
proverbe : « Il faut être deux pour danser le tango » est
fondé sur cette évidence. Le tango est la quintessence de la danse de couple.
Sans partenaire, il n’y a pas de tango.
Toutefois,
cela ne veut pas dire que nous ayons besoin d’un partenaire attitré. En tango,
nous visons à trouver, créer et développer une connexion intense dans un laps
de temps très court. Cela fait partie de la beauté, du style et des défis du
tango. Cela peut être atteint avec un partenaire attitré ou une variété de
partenaires occasionnels. Ou les deux. Peut-être ce soir allons-nous danser seulement
ensemble et demain soir avec la moitié des danseurs sur le plancher. Ce n’est
pas un problème. Tout ce que nous faisons pendant la danse devrait être induit
ou inspiré par la personne avec qui nous dansons.
Tant
pour les leaders que pour les guidées, si nous sommes capables de porter
attention à nos partenaires davantage qu’à nous-mêmes, nous allons nous
dépasser dans notre propre rôle. Si nous pensons à prendre soin de nos
partenaires, à les aider en guidant ou en suivant mieux, ou en leur donnant le
temps et en étant patient avec eux, nous allons leur permettre de danser avec
plus d’aisance et de plaisir. La relation en tango n’est pas linéaire, elle est
circulaire, c’est un lien de réciprocité entre deux partenaires; alors, ce que
nous donnons nous sera rendu. Ce qui nous amène à la deuxième connexion
importante.
Connexion deux : soi-même.
Si le partenaire, c’est ce qui compte, alors pourquoi avons-nous besoin d’une
bonne connexion avec nous-mêmes? Eh bien, c’est parce qu’il y a davantage que
cette relation avec le partenaire. C’est le couple qui est concerné et nous en
formons la moitié. On dit qu’on ne peut pas vraiment aimer quelqu’un si on ne
s’aime pas soi-même. De même, on ne peut vraiment connaître une autre personne
si on ne se connaît pas soi-même.
Pour
les professeurs de tango, un des obstacles les plus difficiles à surmonter dans
l’enseignement auprès de certains étudiants est leur manque de conscience corporelle.
Parce que le tango est avant tout une danse sociale, qui est pratiquée par beaucoup
de couples d’âge moyen pour qui c’est une première expérience de danse, on
retrouve finalement beaucoup de débutants qui ont peu de connaissance de leur
corps. Peut-être qu’ils n’ont jamais porté attention – en étant laissés à
eux-mêmes – à des dissociations qui se produisent lorsqu’ils se déplacent; peut-être
qu’ils n’ont jamais pensé à la relation entre la position de leurs hanches et
celle de leurs pieds et de leurs épaules; ils n’ont probablement jamais essayé
de baisser leurs épaules en remontant leur coeur, tout en gardant les genoux
souples et en relâchant les bras, tout cela en contact avec une autre
personne... C’est déjà beaucoup de mettre en oeuvre un seul de ces conseils,
particulièrement pour ceux pour qui tout cela est entièrement nouveau. Ce qui
ne veut pas dire que des gens qui n’ont jamais dansé ne peuvent l’apprendre à
50 ou 60 ans. Bien sûr, ils le peuvent et plusieurs le font. Mais la conscience
corporelle est un défi supplémentaire qui demande beaucoup de travail, de pratique
et de patience pour être apprise. (Des disciplines comme le yoga ou le Pilates
sont formidables pour élever la conscience corporelle – en plus de la force, de
la souplesse et de l’équilibre – et peuvent accompagner très efficacement les
leçons de tango.)
Si
nous connaissons notre corps et nous nous nous connaissons nous-mêmes, nous
aurons un meilleur équilibre et un contrôle plus fin sur nos mouvements. Nous
serons aussi plus enclins à nous faire confiance pour guider ce que nous
voulons ou à suivre ce que nous ressentons. Nous devons nous connaître
nous-mêmes tout autant que nous comprenons notre partenaire. Alors, toute la question ne tourne pas autour
du partenaire. Les deux termes sont importants et si nous nous préoccupons des
deux, on arrivera à danser avec une grande complicité, c’est ce que nous
voulons atteindre. On peut en fait présenter ces deux premières connexions en
un tout : le couple, composé de deux parties distinctes et égales. Mais si
on vise à se mouvoir et à respirer comme une seule entité, il reste qu’on
arrive à la danse avec sa propre individualité; c’est important de ne pas être
trop passif, au risque de perdre notre identité au profit de son partenaire, ni
d’être trop dominant et de le laisser dans l’ombre.
Connexion trois : la musique.
C’est la connexion que je préfère. La musique est vraiment ce qui me transporte.
C’est elle qui inspire mes pas et mes mouvements.
Mais
la musicalité est particulière dans le tango argentin. Parce que nous pouvons
improviser tellement sur cette musique, parce qu’il n’y a pas de routine qui
nous oblige à initier tel mouvement avec telle phrase musicale ou de marquer
les temps forts avec la régularité d’un métronome, les professeurs négligent
souvent de proposer volontairement des séquences de danse ajustées à des phrases
musicales et, souvent, les étudiants ne tiennent pas compte du tout de la
musique, disant habituellement qu’ils ont trop de choses à gérer à la fois.
Mais c’est une erreur. La danse et la musique ne peuvent pas être traitées
séparément. Si les étudiants prennent l’habitude de considérer la musique comme
un bruit de fond, ce sera difficile, plus tard, de renverser la vapeur et
d’utiliser le rythme comme un guide pour tous leurs mouvements.
Comme
danseurs, nous devrions vivre et ressentir la musique au même titre que tout
autre instrument, en marquant le rythme et en dessinant la mélodie. De plus,
pourquoi choisir la musique de tango, ou même n’importe quelle musique? Nous
dansons différemment en fonction de chaque genre musical ou de chaque orchestre
– nous devrions, à tout le moins. Ce n’est pas suffisant de simplement écouter
la musique et d’essayer de la suivre : nous avons besoin de laisser entrer
la musique par toutes les pores de notre peau, toucher notre cœur, nous guider
et faire corps avec nous. Tout comme le partenaire idéal.
Connexion quatre : le
plancher. Ça semble aller de soi, mais c’est surprenant de
constater à quel point beaucoup de danseurs n’arrivent pas à garder leurs pieds
au plancher. Bien sûr, on sait tous qu’il faut être en contact avec le plancher
pour marcher; nous n’avons pas vraiment le choix. Mais avec le tango, il faut
aller au-delà de ce constat. Nous devons pleinement ressentir le contact avec
le sol et notre connexion avec lui. Comme on pourrait le dire en anglais,
« the ground grounds us ». Il nous donne un appui, de l’équilibre et
de la puissance.
Nous
utilisons au mieux le plancher en travaillant avec la gravité, en la laissant assouplir nos genoux et donner du
poids à nos pieds, nos hanches et nos épaules, avec pour résultat de nous
permettre d’être droits et élancés, en donnant de l’expansion à notre colonne
vertébrale et en relevant le coeur pour garder notre axe et notre élégance. En
yoga, on évoque aussi, avec la position de l’arbre, ses racines – la connexion
de l’arbre au sol – qui lui permet de se ternir à la verticale sans pencher. Il
en va de même pour le danseur de tango.
Le
plancher nous donne de l’équilibre pourvu que nos deux pieds soient bien en
contact avec lui, la jambe d’appui donnant une prise à notre axe pendant que la
jambe libre élargit notre base de support et nous donne un repère. Comme les
racines de l’arbre qui vont au-delà de la circonférence du tronc.
Le
plancher nous donne de la puissance quand nous nous servons de notre jambe
d’appui afin de propulser nos mouvements, pour marcher ou pivoter. Cette
puissance donne de l’aisance à nos mouvements et un message clair à nos
partenaires.
Les
professeurs rappellent qu’il faut caresser le plancher, le lécher (avec nos
pieds, bien sûr!), dessiner sur le plancher, être complice avec lui et le
connaître intimement, y inclus chacune de ses fissures, aspérités ou cavités.
Faisons tout cela, soyons familiers avec lui et cela nous aidera à être proches
de nous-mêmes, de notre partenaire et de la musique.
Connexion cinq : le monde
autour de nous. La dernière connexion, mais pas la moindre.
En fait, elle est négligée par plusieurs danseurs.
Nous
disons souvent que, lorsque ça va bien avec notre partenaire, le reste du monde
n’a plus d’importance. C’est comme si on dansait dans notre bulle. Même si
c’est un peu vrai, notre bulle devrait être transparente pour ne pas entrer en
collision ou carrément crever la bulle des autres couples au milieu d’une tanda.
Il faut donc danser avec respect, en limitant les pas hors de notre champ de
vision, en évitant de suivre de trop près le couple devant nous, en n’occupant pas
soudainement l’espace disponible devant un autre couple et en ne prenant pas
trop de place sur un plancher bondé.
Mais
plutôt que de danser autour des
autres couples en les considérant comme des obstacles, nous pourrions essayer
de danser avec eux. Si tout le monde
faisait cela, la circulation dans les milongas serait beaucoup plus fluide,
plaisante et, finalement, ce serait plus facile d’y naviguer. Le tango salón est une danse sociale, alors tous
les autres danseurs sont une partie intégrante de notre art et de notre
expérience. Nous devons accepter cela, et accepter que les mouvements ou les
figures que nous prévoyons faire puissent changer constamment en tenant compte
de ce qui se passe autour de nous. Pas facile, sans doute, mais imaginez si
tous les danseurs se déplaçaient comme un ensemble, sur la même musique, le
même plancher, chacun dans un corps différent et avec un partenaire différent,
mais en harmonie. Ce serait euphorique.
À
certains moments, ces cinq connexions peuvent ne faire qu’un :
nos corps se déplaceront avec grâce et confiance, en fusionnant avec nos
partenaires et la musique, pleinement connectés, supportés par le plancher et
en harmonie avec ceux qui nous entourent pour une expérience sublime qui nous transporte
et nous rappelle pourquoi nous aimons tant cette danse.
Merci pour ces deux articles, Andréa qui nous aident grandement à comprendre cette danse unique et magnifique ! France
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