Tuesday, 13 March 2018

Vingt leçons de tango : Quatrième partie : La musicalité est tout

La musique est la raison d'être de la danse, et en danse de couple
c'est aussi un important outil de synchronisation.

Traduit par François Camus
Lire le texte original en anglais ici

Pour souligner ma 20e année à danser le tango, j’ai retenu 20 choses que j'ai apprises dans, à travers, ou au sujet de cette danse merveilleuse et sa musique captivante. Voici ma prochaine « leçon ».

Leçon No. 4 : La musicalité est tout
La musicalité pourrait bien être mon sujet préféré. C’est certainement la qualité que je préfère chez un danseur… bien, peut-être à égalité pour la première place avec une bonne étreinte. Donnez-moi une belle étreinte et une excellente connexion à la musique et je suis une danseuse heureuse.

Si seulement je pouvais convaincre les débutants de ça dès leur début : les grands mouvements impressionnants ne font pas un grand danseur. La musicalité par contre…

La musicalité est probablement l’aspect du tango qui est le plus sous-estimé par les danseurs débutants et intermédiaires. Dès le premier jour, presque chaque guideur désire apprendre des pas, des pas, des pas, et des mouvements, des mouvements, des mouvements. Bien sûr les séquences originales et complexes peuvent être amusantes, mais elles ne sont rien si elles ne sont pas exécutées en harmonie avec la musique. Mieux vaut exécuter quelque chose de simple en parfaite synchronisation avec le rythme que quelque chose d’apparence complexe en traitant la musique comme un simple bruit de fond.

Je pense que le même phénomène se produit dans toutes les danses sociales. Récemment, je suis allée dans un club de salsa pour la première fois en plus de dix ans. J’ai trouvé que les danseurs sont concentrés sur les mouvements plus que jamais. Ils vous tournent comme ceci et comme ça, exécutant série après série de séquences complexes, faisant rarement une pause pour seulement danser. Pour simplement ressentir et bouger sur la musique. En tango, comme en salsa, les séquences complexes et les mouvements difficiles peuvent être amusants et satisfaisants lorsqu’ils sont bien exécutés, mais ils doivent être intercalés de danse simple, et si le mouvement n’est pas bien exécuté, si l’un des partenaires n’est pas sur la musique, c’est déroutant pour l’autre et, franchement, à peine amusant du tout.

Pour la guidée, cela signifie que vous recevez constamment deux messages contradictoires – l’un de votre partenaire et l’autre de la musique – et vous avez constamment à choisir lequel des deux vous allez suivre. Une fois, une femme m’a confiée que lorsqu’elle est dans une telle situation elle se sent comme si son cerveau allait exploser – et je me sens comme ça aussi.

La musique est pas mal la raison d’être de la danse. C’est pourquoi nous dansons différemment sur différents types de musiques.

Alors pourquoi, oh pourquoi, tant de danseurs de tango pensent à la musicalité après-coup?

Je crois qu’il y a deux raisons à cela :

Premièrement, il n’y a pas de pas de base en tango. Dans la plupart des danses sociales il y a un pas de base qui correspond à un motif rythmique spécifique et qui s’intègre clairement dans une phrase musicale. Pour utiliser une fois de plus la salsa comme exemple, vous avez trois pas, une pause, puis trois autres pas et une pause, le tout correspondant parfaitement dans une phrase de huit temps. Conséquemment, le pas de base est enseigné de cette façon : comme un motif qui commence et arrête à temps avec chaque phrase musicale. En tango, il n’y a pas vraiment de pas de base à part la marche, alors vous n’êtes pas obligés de commencer la séquence sur "1" ou de finir sur "8". Même si nous utilisons certaines séquences dans notre vocabulaire – et certaines d’entre elles peuvent même être composées d’exactement huit pas ou actions – nous pouvons en changer le motif rythmique en faisant une pause pour un temps ou deux ou danser en double-temps, changeant ainsi le moment dans la musique où nous complétons notre figure. Ajoutez à cela l’imprévisibilité des réponses de notre partenaire et du trafic sur le plancher de danse, il devient alors impossible d’imposer une séquence quelconque avec un nombre spécifique de pas ou un nombre de temps musicaux.

Deuxièmement, la musique de tango est constituée de plusieurs couches musicales et il y a plusieurs manières de l’interpréter et de jouer avec. Il est donc difficile pour les professeurs de tango d’imposer une structure musicale à leurs élèves, parce que plusieurs autres structures musicales pourraient fonctionner tout aussi bien : vite, vite, lent versus lent, lent, lent ou lent, vite, vite, sans mentionner l’ajout de pauses ou les syncopes… Je crois tout de même qu’au début, les enseignants doivent choisir un motif et l’imposer, comme exercice de conscientisation et de discipline. Nous devons apprendre aux étudiants à s’efforcer de danser sur la musique, et à rester constamment sur le rythme. Tout simplement parce que plusieurs ne le font pas. Ils se disent qu’ils vont d’abord se préoccuper des pas et s’occuper plus tard de suivre la musique. Mais souvent, ce « plus tard » ne vient jamais vraiment. Ils deviennent tellement habitués à danser au battement de leur propre tambour – ou ils l’ignorent complètement – qu’ils n’apprennent jamais à se laisser guider et inspirer par la musique qui joue.

Il y a différents niveaux de musicalité pour les danseurs:

• Le rythme. C’est l’unité de base qui mesure le temps dans la musique. C’est sur le rythme que vous tapez du pied ou tapez dans vos mains, et au tango c’est le rythme de base sur lequel vous marchez. Une simple marche suit le rythme régulier fort, ou accentué, de la musique. Le rythme, el compás en espagnol, est comme un métronome toujours présent; c’est le temps constant et régulier que tous les musiciens maintiennent, même lorsque leurs mélodies accélèrent, ralentissent ou font une pause. Comme la pulsation cardiaque, ce rythme, aussi appelé une pulsation, est toujours présent, que vous l’entendiez ou non et sans égard à ce qui se passe d’autre dans la musique. Dans plusieurs autres types de musiques le rythme est souvent marqué par la batterie ou autre instrument à percussion, mais c’est rarement le cas en tango argentin. Divers instruments peuvent marquer le rythme à divers moments, raison pour laquelle il est si difficile pour certaines personnes d’entendre ou de ressentir le rythme du tango à leurs débuts. C’est un défi pour certains mais c’est essentiel pour tous. Vous ne pouvez pas être sur la musique si vous ne pouvez pas trouver le rythme, alors trouvez-le et efforcez-vous de le suivre avant d’aller vers d’autres possibilités. Certaines personnes pensent que c’est ennuyeux d’enseigner aux gens de danser sur le rythme et que nous devrions leur enseigner immédiatement à danser sur la mélodie. Je suis en désaccord. Au cours de toutes ces années de danse et d’enseignement, j’ai vu trop de danseurs qui ont de la difficulté à entendre le rythme de façon constante et encore plus à danser sur le rythme. Alors je pense qu’il est important d’enseigner ce concept de base en premier. Si vous êtes sur le temps, vous ne serez pas dans l’erreur, bien que vous allez éventuellement vouloir rendre les choses plus intéressantes en jouant avec…

• Pauses et double-temps. En termes de variations sur le rythme, les pauses viendront en premier puisque souvent vous n’aurez d’autre choix que d’arrêter de bouger pour un temps ou deux afin de vous ressaisir, laisser votre partenaire se ressaisir, ou gérer le trafic toujours imprévisible du plancher de danse. Assurez-vous de faire une pause pour un, deux ou trois temps –non pas pour une durée de temps aléatoire qui ne tient pas compte de la musique. Faites une pause sur un temps et repartez sur un temps. Danser en double-temps, parfois appelé traspie (spécialement en milonga) ou contretemps, signifie danser deux fois plus vite ou, en d’autres mots, faire trois pas en deux temps musicaux. C’est ici que les choses deviennent intéressantes… et, bien sûr, plus exigeantes. Rappelez-vous que, si vous ne pouvez pas tenir le temps, vous ne pourrez pas gérer le double-temps.

• Syncopes, phrase musicale et mélodie. Ce sont des concepts plus complexes. Pour un danseur de haut niveau ils sont incroyablement amusants, parce que vous pouvez devenir incroyablement créatifs, mais ils sont aussi assez difficiles. Bien des danseurs ne parviennent jamais au point où ils peuvent utiliser ces éléments, et vous devez absolument maîtriser  pleinement les concepts précédents avant même de tenter d’aller plus loin.

  • Syncope signifie placer un accent rythmique à un endroit où il ne se produirait normalement pas; elle serait généralement exécutée au moment où les musiciens la font, alors vous avez besoin de l’entendre, faire en sorte que vos pieds la marque et que votre partenaire la ressente, le tout en l’espace d’une fraction de temps.
  • La phrase musicale est la manière dont la musique est structurée. En tango, les phrases musicales sont habituellement d’une durée de 8 ou 16 temps. En tango il n’est pas nécessaire de commencer sur le "1" comme on le fait dans les autres danses, mais la musique change entre les phrases. Alors si vous êtes conscient de la phrase musicale et des changements, vous pouvez changer la qualité de votre danse à ces moments là, étant ainsi connecté plus étroitement à la musique et plus expressif. 
  • Danser sur la mélodie peut être accompli en marquant les séquences rythmiques complexes de l’un des instruments autant qu’en dansant l’émotion (le ressenti) de la musique. C’est ce qui nous fait ou devrait nous faire danser différemment au son de divers orchestres. En définitive, différents styles de musiques invitent différents styles de danse. Dès le jeune âge de mes enfants, j’ai observé que je pouvais faire jouer n’importe quel genre de musique et qu’ils bougeaient instinctivement d’une manière qui ressemble étroitement aux danses qui sont associées à chaque genre : country, swing, hip hop, classique… même s’ils n’avaient jamais entendu ce type de musique ou vu ce type de danse. Chaque style de musique évoque automatiquement une sensation différente et une façon particulière de l’exprimer physiquement. Si on étend ce concept au tango, cela signifie que la sensation  et la qualité de notre danse devrait changer à chaque tanda, chaque style, chaque orchestre. Évidemment la valse devrait être dansée différemment de la milonga, laquelle devrait  à son tour être dansée différemment du tango, mais dans chacun de ces styles, chaque orchestre devrait aussi être dansé différemment. Si vous ne bougeriez pas de la même façon sur du Tchaïkovski que sur du Eminem, danseriez-vous un D’Arienzo rythmé des années 1930 de la même façon qu’un Pugliese dramatique des années '50?

Alors, qu’en est-il du rôle de la guidée dans tout ceci? Il y a une idée erronée à l’effet que la musicalité est surtout la tâche du guideur. Mais non, comme tout en tango, ça devrait être 50/50.

D’une part, c’est la musique qui inspirera les embellissements de la guidée. Pourquoi est-ce que je choisis de taper du pied plutôt que de faire un lápiz? Une série de petits pas enjoués plutôt  qu’une lente caresse sur la jambe de mon partenaire? La musique, bien sûr!

D’autre part, c’est parfois ma tâche de garder le rythme. À titre d’exemple, si mon partenaire me guide dans un tour pendant qu’il pivote sur un pied tout en embellissant avec des enrosques difficiles, c’est à moi de marquer la musique avec mes pas, de l’aider à tourner, à conserver son équilibre et à savoir facilement où je suis afin qu’il puisse terminer le tour juste au bon moment.

La musique joue un autre rôle très important dans les danses de couple : c’est un outil de synchronisation. Si mon partenaire et moi dansons sur la même musique, nous danserons plus facilement en synchronisation l’un avec l’autre. Quand on parle d’aller au-delà du rythme pour danser en double-temps, pour syncoper ou pour explorer d’autres couches de rythme et de mélodie, il est essentiel que la guidée soit en harmonie avec la musique autant que le guideur. À titre d’exemple, quand mon guideur souhaite que je danse en double-temps, il me donne une indication d’aller plus vite, mais qu’est-ce qui me dit exactement à quelle vitesse je dois aller? La musique! Mon guideur ne place pas mon pied sur le plancher. Je le fais, et je le fais sur la musique. Et s’il souhaite que je fasse une syncope ou que je marque un autre motif mélodique complexe? C’est impossible si je ne l’entends pas moi-même dans la musique.

Si tout cela semble intimidant, rappelez-vous ceci : commencez par les éléments de base, ou le rythme, et vous ne vous tromperez pas. Petit à petit, au fur et à mesure que vous commencez à maîtriser un concept, vous pouvez essayer le suivant. Alors, peut-être qu’un jour vous aussi, vous incarnerez la musique, utilisant votre propre corps comme l’un des instruments de l’orchestre, restant constamment sur le rythme et remplissant les espaces entre les temps de mélodies pleines de créativité, d’émotion et de suspense.

La musicalité pourrait bien être l’élément le plus important de votre danse. Mais encore, vous avez besoin de pas.

Prochain article : Leçon no 5 : Mais vous avez besoin d’apprendre des pas


3 comments:

  1. Très bel article sur un point très important dans toutes les danses de couple, trop souvent occulté par de nombreux enseignants mal formés eux même en musique.
    Ce travail sur le rythme, le phrasé, la mélodie est notre cheval de bataille dans notre institut de formation d’enseignants en danse de société à Achicourt, avec bien sûr la pédagogie, l’espace, les positions dans le couple, l’énergie et l’écriture du mouvement. Bravo. JCP contact@i-f-d-s.com

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