Tuesday 10 October 2017

Taisez-vous et dansez


Traduit par André Valiquette
Lire le texte original en anglais ici

Je l’ai déjà dit et je le répète : pas d’enseignement sur la piste de danse.

Je suis très ferme sur cette question, ceux qui me connaissent ou qui ont lu mon blogue à ce sujet le savent bien. Les gens vont à une milonga pour danser et avoir du plaisir. Les meilleurs tangos sont ceux pendant lesquels vous pénétrez cette zone d'ici et maintenant où vous pouvez abandonner vos pensées et entrer dans un état presque méditatif. Un état qu’il n’est pas possible d’atteindre si votre partenaire vous dit constamment quoi faire – ce que personne n’apprécie, mais alors pourquoi des gens continuent à le faire?

L’été dernier, j’ai été témoin d’un comportement de « prof » qui dépassait les bornes, j’ai en fin décidé de rendre service aux femmes et je m’en suis mêlée. Mais je suppose qu’aucune bonne action ne reste impunie et la situation a évolué de mal en pis. Nous étions dans une milonga en plein air que mon école organise, et un danseur reconnu pour son incompétence en danse autant que pour sa propension à constamment donner des conseils en dansant (c’est drôle comme ces deux phénomènes se côtoient souvent) était donc en train de faire ce qu’il fait le mieux, encore et encore.

Difficile à supporter

Je l’ai d’abord vu danser avec une de mes étudiantes débutantes que j’aime bien, qui travaille sérieusement et suit bien, et j’ai d’abord eu envie de rentrer sous terre quand je l’ai vu lui donner des conseils sans discontinuer pendant toute une tanda. Par la suite, il a invité quelqu’un d’autre qui était en train de se remettre progressivement au tango après s’être blessée, et il l’a complètement accaparée en l’abreuvant de conseils et d’instructions pendant un bon cinq minutes AVANT MÊME DE COMMENCER À DANSER. C’était pénible à voir – tellement qu’une autre femme lui faisait des signes pour qu’elle ne danse pas avec lui – et au bout du compte elle s’en est abstenue, tant mieux pour elle.

Quelques tandas plus tard, j’étais sur le plancher de danse et j’ai vu une femme s’éloigner de lui pendant qu’il lui lançait à la tête quelque chose du genre : « Bon, ben, si tu ne veux pas apprendre, vas-y t'asseoir! »
C’est exactement ce qu’elle fit, mais là je me suis sentie concernée.
J’ai décidé – étant connue pour être trop bonne, trop douce, trop gentille – qu’il était plus que temps de mettre mon pied à terre et que j’aie une conversation avec cet homme qui me hérissait – et je ne suis pas la seule – à chaque fois qu’il mettait le pied dans une milonga.
Alors, j’ai attendu qu’il soit seul, je l’ai abordé en souriant, l’ai salué et l’ai entraîné discrètement à l’écart là où personne ne pouvait nous entendre. Aussi gentiment et diplomatiquement que possible, je lui ai dit qu’il était bien libre de faire ce qu’il voulait, mais que j’avais reçu plusieurs commentaires des femmes qu’il avait corrigées en dansant et que peut-être il pouvait danser un peu plus et parler un peu moins.
Sa réponse : « Si les femmes ne veulent pas danser avec moi, elles ne sont pas obligées », à quoi il a ajouté ce brillant commentaire : « Si elles ne veulent pas apprendre, elles n’ont pas besoin de danser avec moi ».
Ce à quoi j’ai répondu : « Mais tu n’es pas prof ».
Et sa réponse : «  Je n’ai pas besoin d’être prof pour enseigner ».
Très bien. Je lui ai dit que je n’étais pas d’accord, mais que c’était une conversation à reprendre à un autre moment. Ensuite, j’ai ajouté que, étant prof, je pourrais lui enseigner en dansant, mais que je ne le ferais pas parce que ça ne se fait pas.

De mal en pis

Et là, il a dérapé. Il m’a dit qu’il pourrait m’enseigner plein de choses parce que je suis complètement nulle comme danseuse, que je guide mal, que je ne suis pas la musique, etc. Me rendant compte que la conversation se détériorait rapidement, je lui ai dit « OK » et je me suis éloignée.

Bien sûr, étant donné qu’il est une personne qui veut toujours avoir le dernier mot, il m’a suivie et a continué sa tirade, à laquelle j’ai répondu : « Je ne t’ai pas insulté et tu n’as pas à le faire non plus. On arrête la conversation ici ».

Évidemment, cette personne n'est plus la bienvenue dans mes milongas et ces événements ne s’en porteront que mieux.

Vous savez, c’est seulement un exemple extrême d’une attitude bien répandue. N’est-ce pas ironique que les danseurs qui jouent au prof soient souvent les moins bons sur la piste de danse, et que ceux qui dispensent des conseils non sollicités soient souvent les mêmes qui ont de la difficulté à en accepter pour eux-mêmes?

Vous n’êtes pas une exception

Ce qui est arrivé a dépassé la mesure, mais c’est une occasion de rappeler à tous les danseurs : SVP, ne jouez pas au prof avec vos partenaires!

Il y a des gens qui vont lire ce billet et penser qu’ils sont une exception. Qu’ils ont vraiment des choses importantes à enseigner à ces pauvres petit(e)s débutant(e)s vu que bla-bla-bla. Mais si c’est ce que vous pensez, je dois vous rappeler que vous n’êtes PAS une exception. Et je n’en suis pas une non plus. Je suis une professeure, mais je n’enseigne pas pendant une milonga parce que ce n’est pas pour ça qu’elles sont faites! Et sans tenir compte de l’expérience que vous avez, vous n’êtes pas là pour corriger vos partenaires ou pour être corrigé-e vous-mêmes. Si les gens veulent des corrections, ils vont prendre des leçons et recevoir des conseils et des instructions de vrais professeurs qui ont les compétences et l’expérience pour étayer ce qu’ils disent et ce, dans un cadre approprié. Ce n’est pas parce que vous avez plus d’expérience que quelqu’un d’autre que cela fait de vous un meilleur danseur et cela ne peut certainement pas vous qualifier pour enseigner. Mieux, si vous êtes celui qui a le plus d’expérience, vous devriez être celui qui s’adapte au niveau de sa partenaire.

Pour la bonne entente et le plaisir de tous ceux qui participent, la prochaine fois qu’une danse ne se passera pas comme vous l’auriez souhaité, pensez-y bien et demandez-vous s’il y a quelque chose que VOUS pourriez faire pour rendre les choses plus faciles pour votre partenaire.

Et finalement, faites silence, profitez de ce moment et dansez.