Saturday 10 October 2015

Alors, vous croyez que vous êtes trop avancés pour le groupe...

Traduit par André Valiquette

Quand vous essayez d’apprendre le tango, un peu de conscience de soi peut vous amener loin. C’est vrai, tant pour les hommes que les femmes, les guideurs que les guidées. Les sentiments de supériorité qui se manifestent peuvent se présenter différemment selon les sexes et les rôles, mais ils existent bel et bien des deux côtés.

Dans la dernière année, plus d’une étudiante m’a approché avec une plainte dans ce genre-ci : « Je crois que je devrais être intégrée à un niveau plus élevé parce que je n’arrive pas à suivre un seul leader de ma classe actuelle, alors que je n’ai aucun problème lorsque je danse avec le professeur. »

J’ai tendance, personnellement, à être plus diplomate qu’il ne le faudrait pour répondre à ce type de remarques. Ce que je devrais peut-être faire est de placer sur-le-champ l’étudiante à un niveau moins avancé, mais je mets plutôt mon agacement de côté et je choisis la façon la plus avenante de lui expliquer que, en réalité, si on est capable de ne suivre que le professeur, cela ne signifie pas qu’on est trop avancée, mais plutôt qu’on ne l’est pas assez.

Le professeur peut vous guider, comme il réussit à guider tout le monde. À titre de professeurs, nous sommes habitués de danser avec des gens de différents niveaux et nous savons comment nous ajuster et compenser les lacunes de nos partenaires. Si les seules personnes qui peuvent vous guider sont vos professeurs, c’est parce que vous ne donnez pas votre juste part. Vous n’êtes pas assez réceptive pour lire au-delà des signaux les plus clairs, les plus évidents. Ou bien vous manquez de force ou d’équilibre pour vous tenir fermement sur vos deux jambes et vous dépendez de votre partenaire pour rester stable. Ou encore vous devez assimiler comment votre corps devrait réagir et compléter un mouvement, du point de contact jusqu’au torse, aux hanches et aux pieds. Ou, plus probablement, toutes ces interprétations s’appliquent.

Si vous pouvez seulement guider le professeur, 
c’est davantage un révélateur de votre propre niveau 
plutôt que de celui de vos partenaires.

Les plaintes des leaders tournent autour du nombre de « mouvements » qu’ils croient devoir apprendre. Eux aussi adoptent souvent les danseuses les plus faciles à guider ou les plus avancées du groupe, ce qui peut se comprendre, mais une fois encore, si vous pouvez seulement guider le professeur, ou les guidées les plus expérimentées du groupe, c’est davantage un révélateur de votre propre niveau plutôt que de celui de vos partenaires.

Comprenez-moi bien, je ne veux insulter personne, tout un chacun est concerné par ces questions qui font partie du cheminement normal des danseurs, à divers niveaux ou degrés selon les individus. Mais il est important de reconnaître, pour nous-mêmes, que nous avons besoin d’y travailler, et que nous pouvons le faire, quelle que soit la personne avec qui nous dansons. En fait, nous sommes amenés à travailler plus fort sur notre propre technique quand nous dansons avec des partenaires moins avancés, parce que si nos partenaires sont vraiment bons, ils assument leur bonne part du travail, compensent nos insuffisances et peuvent nous amener à relâcher notre technique.

Donc, il est important de faire la différence entre être capables de danser avec certains genres ou niveaux de danseurs et avoir du plaisir à danser avec eux.

Même si, règle générale, je vais trouver plus facile et plaisant de danser avec un partenaire expérimenté, je peux suivre n’importe qui, sans pour autant négliger ma posture ou ma technique.


Plus vous êtes vraiment avancés, 
plus facile ce sera pour vous 
de danser avec qui que ce soit. 

Après avoir enseigné le tango pendant 15 ans, je peux vraiment dire que les étudiants qui se plaignent à propos du niveau des autres participants dans la classe ne sont jamais les étudiants les plus avancés du groupe. Ceux qui ont déjà une très bonne technique, ou qui comprennent l’importance d’une bonne technique, ne blâment pas les autres étudiants pour leurs fautes ou leurs faiblesses. Ils comprennent que c’est la responsabilité de tout un chacun d’améliorer son propre niveau de danse. Plus vous êtes réellement avancé, plus vous êtes capables de danser avec qui que ce soit.

C’est trop facile de blâmer nos partenaires. Je constate cela chaque jour, et je crois que tout le monde est tombé dans ce travers au moins une fois.

Chez les leaders, cette attitude se manifeste le plus souvent par des leçons ou des explications à nos partenaires à propos de mouvements qui n’ont pas fonctionné plutôt que d’essayer d’améliorer nos propres compétences pour guider. Chez les guidées, nous retrouvons l’attitude que les leaders sont là pour « nous faire danser », ce qui porte à la passivité et à la dépendance. Nous avons tous besoin de prendre nos responsabilités pour notre danse et la meilleure façon d’y arriver est de consolider nos connaissances de base et de pratiquer en solo certains mouvements. Si, par exemple, je ne peux conserver mon équilibre lorsque j’exécute seule un ocho arrière, comment pourrais-je y arriver avec un partenaire sans m’y accrocher comme si j’allais couler? Mon équilibre, mes pas, mes pivots et mon axe sont ma responsabilité, pas celle de mon partenaire.

J’ai commencé à écrire ce billet il y a quelques mois, après une conversation avec une étudiante qui exprimait son insatisfaction devant le rythme trop lent du cours qu’elle suivait. Premièrement, j’ai été surprise de son commentaire, car elle faisait partie des guidées qui s’étaient démenées très fort pour mieux maîtriser des techniques relatives à l’équilibre, à la force et à la dissociation. À titre d’exemple de ce sur quoi elle pourrait travailler, je lui ai indiqué une erreur technique bien précise que j’avais été amenée à corriger chez elle plus d’une fois dans les dernières semaines, ce à quoi elle m’a répondu qu’elle le faisait correctement auparavant, mais qu’elle avait régressé au contact de quelques leaders dans le groupe. Ce rejet de la responsabilité sur son partenaire – et le déni de ce qui s’était vraiment passé – a continué pendant des semaines, et ce n’était bien sûr pas la première fois que j’ai constaté cette attitude.

C’est bien d’être satisfaits du niveau où nous sommes rendus, 
aussi longtemps que nous ne laissons pas nos egos 
prendre le dessus sur nos habiletés en danse. 


Ensuite, il y a les danseurs qui croient qu’ils n’ont plus rien à apprendre. C’est une chose de faire une pause avec les cours ou même de décider qu’on ne veut pas aller plus loin dans notre apprentissage du tango. C’est tout autre chose de penser qu’on sait tout cela et que les cours à venir représenteraient une perte de temps. Dans les sports comme dans le monde des arts, ce sont les professionnels qui s’entraînent le plus intensément, en s’efforçant toujours de s’améliorer ou de rehausser leur savoir-faire, alors comment une poursuite de l’apprentissage pourrait-elle être une perte de temps pour un amateur? Les danseurs de tango qui continuent à danser, mais cessent d’apprendre, quelque part entre le niveau intermédiaire et avancé, sous-estiment souvent l’importance d’une bonne technique. Ils arrivent à un point où un bon nombre de danseurs dansent volontiers avec eux, donc ils ont du plaisir dans les milongas et ne sentent pas le besoin d’aller plus loin dans leur apprentissage.

En fait, on apprend aussi sur le plancher de danse des milongas : sur le plan de la polyvalence, des facultés d’adaptation et des capacités de navigation sur la piste. Et c’est aussi correct d’apprécier le chemin parcouru, tant et aussi longtemps qu’on reste conscient d’où on est vraiment arrivé et qu’on ne laisse pas notre ego grandir plus vite que nos compétences en danse.

Plus nous élevons notre niveau de danse, moins les maladresses techniques de notre partenaire nous affecteront. Les guidées qui restent solides sur la piste améliorent leur qualité de danse en ne se laissant pas malmener par des leaders brusques, mais aussi, elles rendent les choses plus faciles pour leurs guides, ce qui rend l’expérience de danse très agréables avec elles.


Mieux, elles n’auront pas besoin d’un guide trop fort et vont encourager leurs partenaires à conduire de façon plus légère, douce... et plus agréable. Sur le plan technique, les leaders qui ne guident pas de façon trop appuyée encouragent les guidées à répondre à des signaux subtils, et à leur tour amènent les autres leaders à guider de cette façon. Et ainsi de suite : en améliorant notre propre technique, nous encourageons nos partenaires à faire de même, et tous deviennent plus agréables dans la danse, reçoivent plus d’invitations ou d’acceptation et ont plus de plaisir à danser le tango!

Avant de nous surestimer – et par le fait même de sous-estimer nos partenaires –, nous devons toujours chercher ce que nous pouvons améliorer pour nous-mêmes. Si les deux côtés s’en tiennent à cela, nous ferons chacun notre part et nous nous rencontrerons à mi-chemin pour savourer la connexion, la musique et la conversation qu’est le tango. Souvenons-nous-en, nous dansons avec les bons danseurs pour les apprécier et non pas pour dépendre d’eux.

Finalement, si nos partenaires ne sont pas responsables de nos erreurs, ils ne sont pas responsables non plus de nos succès. Alors, nous pouvons être contents de nous-mêmes et nous sentir fiers lorsque nous savons que nous avons bien dansé.