Tuesday 22 May 2018

Vingt leçons de tango : Cinquième partie : Oui, vous avez besoin de pas

Les professeurs enseignent des pas et des séquences tout en insistant
qu'ils sont secondaires aux éléments tels que la connexion, la musicalité
et la technique. Est-ce une contradiction? Pas vraiment.

Traduit par François Camus
Lire le texte original en anglais ici

Pour souligner ma 20e année à danser le tango, j’ai retenu 20 leçons que j’ai apprises dans, à travers, ou au sujet de cette danse et le processus d'apprentissage et d'enseignement qui l'accompagne. Voici ma quatrième « leçon ».

Leçon no 5 : Vous avez besoin d’apprendre des pas.

S’il n’y a pas de figures ou de pas prédéfinis en tango argentin, pourquoi la plupart des professeurs enseignent-ils des séquences, ou des figures? Cela semble contradictoire mais ça ne l’est pas.

Si le tango est un langage, c’est bon et bien de connaître les règles de grammaire, l’orthographe et la ponctuation, mais vous ne pouvez les utiliser si vous n’avez pas de vocabulaire avec lequel travailler. C’est pourquoi les professeurs enseignent des pas et des séquences tout en insistant qu’ils sont secondaires aux éléments tels que la connexion, la musicalité, la technique et autres.

Lorsque nous apprenons une nouvelle langue, nous commençons habituellement par apprendre quelques phrases clés telles que « Bonjour, mon nom est Andrea. Quel est votre nom? » ou « Combien est-ce que ça coûte? » ou « Aimeriez-vous danser? » Comme cela nous pouvons commencer à communiquer immédiatement à un niveau élémentaire, ensuite on apprend l’alphabet, les règles de grammaire, la syntaxe et ainsi de suite. Le but ultime, bien sûr, est de parvenir à formuler nos propres phrases, et si un jour on parvient à maîtriser la langue, on la parlera avec fluidité, sans avoir à réfléchir à comment tout ça fonctionne. C’est semblable pour le tango. On apprend quelques séquences simples avec lesquelles travailler, des structures (phrases) simples que l’on peut apprendre, pratiquer et comprendre, et à travers elles on commence à communiquer, tout en travaillant sur les mouvements individuels (l’alphabet) et la technique (la grammaire, la syntaxe, etc.). Éventuellement, on pourra peut-être créer de nouvelles séquences à la volée (la prose), tout en maintenant notre connexion (la conversation) avec notre partenaire et jouer avec la musique (la poésie!).

Une fois qu’on a appris à marcher avec un/e partenaire devant nous, nous sommes déjà en train de communiquer à un niveau élémentaire, mais nous avons besoin d’un certain niveau de vocabulaire pour vraiment nous exprimer. Tout comme un vocabulaire élaboré ne suffit pas pour tenir une grande conversation, des mouvements élaborés ne suffisent pas pour faire un grand danseur. Des mouvements « cool » sont toujours, bien… « cool », et tant qu’on les utilise correctement dans le bon contexte, ils sont une part essentielle, pour ne pas dire amusante, du tango.

Les séquences sont à la fois des outils pédagogiques et des outils pour guider, et je pense que c’est pourquoi elles sont une composante inévitable du processus d’enseignement/apprentissage. En enseignant des séquences, il est important toutefois que les professeurs soulignent clairement que les séquences sont différentes des mouvements individuels qui les composent et qu’en fin de compte c’est la maîtrise des mouvements qui compte le plus, pas les séquences en elles-mêmes. Les séquences sont les moyens pour atteindre une fin, pas la fin en elle-même.

Dans le contexte d'une telle structure, enseigner un mouvement tel qu’un « ocho » donne des points de référence utiles aux étudiants de tango. On enseigne de telles séquences afin d’enseigner des mouvements fondamentaux tels que les pas et les pivots, lesquels une fois mis ensemble deviennent des mini-structures fondamentales telles que les séquences de marche, les « ochos » et les « giros ». Lorsqu’on leur ajoute des pas de transition pour entrer et sortir de ces mouvements ils deviennent ce que l’on conçoit comme étant des figures.

Les guidées n’ont pas besoin de se souvenir des séquences mais elles ont besoin de les apprendre, de les comprendre et de les pratiquer. S’arrêter à la séquence en elle-même encourage l’anticipation de la part des guidées parce qu’elles seront exagérément préoccupées par ce qui vient ensuite, mais pratiquer les séquences et comprendre comment les parties s’intègrent enseigne à leur corps à faire ce qu’elles ont à faire, et ce qu’elles devraient ressentir quand leurs pas sont correctement synchronisés à ceux de leur partenaire.

Ce serait merveilleux si nous pouvions enseigner l’improvisation dès le début et faire voir l’ensemble aux débutants, escamotant les parties lourdes, difficiles et souvent frustrantes du processus d’apprentissage. Mais dans mon expérience, nous ne pouvons escamoter les premières étapes du processus parce qu’apprendre le tango est justement ça, un processus. Et il ressemble à quelque chose comme ceci :

1. Apprendre quelques mouvements et séquences de base, en même temps qu’une technique très élémentaire et des outils pour guider et suivre, lesquels nous feront sentir maladroits et nous sembleront étonnamment difficiles au début, et ne nous donneront pas l’impression de danser.

2. Apprendre d’autres mouvements et séquences tout en essayant de maîtriser les premiers, en portant attention à notre posture, à la musique et à plein d’autres choses qui nous sembleront encore être trop de choses auxquelles penser en même temps. Ceci cause souvent beaucoup de confusion et de frustration chez les guideurs, lesquels ont beaucoup de difficulté à apprendre et à mémoriser leurs propres pas, encore moins à savoir ce que leur partenaire est en train de faire à chaque étape. De plus, ils vont se torturer l’esprit et le corps à décoder des concepts tels que système parallèle versus croisé. En même temps, les guidées ont souvent l’impression qu’elles apprennent plus vite que leurs partenaires et elles commencent à avoir l’impression qu’elles peuvent vraiment danser – si elles sont jumelées avec un guideur plus avancé ou avec leur professeur. À ce stade, les deux partenaires sont souvent frustrés de la vitesse d’apprentissage du guideur.

3. Les guideurs continuent de se sentir stressés de ne pas connaître suffisamment de mouvements. Ils se trouvent ennuyeux s’ils n’exécutent pas tous les mouvements qu’ils ont appris au cours d’une chanson. Les guidées apprennent que leur rôle est plus que suivre. Elles commencent à réaliser qu’elles sont responsables de leur propre axe, de leurs pas et de leurs pivots. Elles commencent à comprendre que le guideur n’est pas responsable de toutes les fautes. Les professeurs ne cessent de dire que les deux partenaires devraient faire plus attention à leur posture, à leur connexion, à la musicalité et à la gestion du plancher. La plupart des danseurs de niveau intermédiaire ne le comprennent pas ou n’y croient pas encore pleinement. À ce point, guideurs et guidées peuvent se sentir au creux d’une vague en réalisant tout ce qu’il y a à apprendre et le temps et les efforts qu’il faudra encore y mettre.

4. Guideurs et guidées ont chacun fait l’expérience de moments de révélation où, par chance ou par dessein, tout se place avec aisance : les pas, l’équilibre, une étreinte confortable et une musicalité parfaite. Rendus ici, les guideurs ont été exposés à presque tous les mouvements qui ont un nom : ochos, giros, paradas, barridas, sacadas, ganchos, boleos, volcadas, colgadas. Ayant passé passablement de temps à danser dans les milongas, ils réalisent que s’ils améliorent leur étreinte, leur posture et leur musicalité, les choses fonctionneront mieux plus souvent. Pendant ce temps, les guidées cessent d’avoir besoin de se faire guidées dans une interminable série de mouvements impressionnants pour apprécier une danse et elles commencent à retirer de plus en plus de plaisir d’une bonne étreinte, d’une musicalité créative et de pas simples qui leurs donnent une chance de connecter, d’embellir, de jouer avec la musique et de s’exprimer.

5. Toutes ces années de travail ardu portent fruit et nous comprenons tous les deux que tout commence et se construit à partir d’une bonne connexion. Les séquences et les mouvements deviennent des outils pour improviser avec la musique et nos partenaires. Les deux comprennent que talent et plaisir sont une question du comment, pas du quoi. Nous regardons en arrière et nous aimerions avoir compris plus tôt ce qu’il en est vraiment. Bien que nous ayons atteint un niveau où les spectateurs nous considèrent avancés, nous voyons que le processus d’apprentissage du tango est un voyage sans fin. Bien que nous retirions de la satisfaction pour tout le chemin parcouru, nous voulons aller encore plus loin.

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