La plupart des danseurs de tango sont de niveau intermédiaire. Que peuvent-ils faire pour parvenir au niveau suivant? |
Traduit par François Camus
En 2017 j'ai souligné mes 20 ans en tango en écrivant une série de 20 articles, ou leçons, apprises sur, autour ou à travers le tango, un long processus plein de frustrations et de récompenses.
Leçon no 9 : Le niveau intermédiaire est le plus dur, le plus long et le plus difficile à percer pour parvenir au niveau suivant. Vraiment, me dites-vous? Le niveau débutant ne serait-il pas plus difficile que le niveau intermédiaire? Pas selon moi. Il y a des raisons pour lesquelles la plupart des danseurs sont de niveau intermédiaire.
La phase de débutant. Comme débutants, nous sommes dans une phase de pure découverte. On pourrait l’appeler l’innocence du tango. Le monde du tango est tout nouveau et un peu magique. Bien sûr il y a des frustrations à ce niveau, mais au début, la plupart des danseurs avancent assez rapidement le long de la courbe d’apprentissage, allant de rien à quelque chose en très peu de temps.
Je dirais que la phase de débutant dure de six à douze mois pour l’étudiant de tango moyen. Comme j’ai dit, ceci est une moyenne; il y a toujours des exceptions. De temps en temps, un étudiant particulièrement doué passe en flèche de débutant à avancé en un an, et de temps en temps il y a des étudiants qui recommencent Tango 1 une demi-douzaine de fois sans vraiment comprendre. Mais pour la plupart, en un an les étudiants acquièrent suffisamment d’habiletés et de connaissances pour poursuivre à:
La phase intermédiaire. À ce niveau, le tango a perdu un peu de son mystère initial. Nous l’aimons toujours, nous sommes toujours impressionnés par ceux qui le maîtrisent plus que nous, mais ce n’est plus nouveau ou inatteignable comme ça l’a déjà été.
Ce stade est jonché de plateaux dans la courbe d’apprentissage et juste comme on a l’impression qu’on va y arriver, on a une soirée merdique et on conclut qu’en fin de compte on ne sait rien. Alors il y a de la frustration, beaucoup de frustration.
À ce stade, les guideurs ont tendance à se sentir stressés de ne pas connaître plus de mouvements et ils se trouvent ennuyeux s’ils ne peuvent en faire assez pendant une tanda. Les guidées aussi deviennent frustrées, envers leur partenaire si elles ont l’impression qu’il ne parvient pas à suivre, et envers elles-mêmes lorsqu’elles commencent à comprendre que leur rôle est plus que suivre. Éventuellement, elles commencent à réaliser que les erreurs ne sont pas toutes la faute du guideur et que leur côté du partenariat est plus difficile qu’elles n’anticipaient. Bien que cette prise de conscience soit un bon signe, c’est tout de même frustrant.
Entretemps, les professeurs ne cessent de dire de porter plus attention à la posture, à la connexion, à la musicalité et à la gestion du plancher, mais la plupart des danseurs de niveau intermédiaire ne le saisissent pas encore tout à fait. À ce stade, guideurs et guidées peuvent se sentir dans un creux de vague alors qu’ils réalisent combien de temps et d’efforts ardus sont encore à venir. Plusieurs danseurs cessent d’aller de l’avant. Ils ont acquis suffisamment de mouvements et de partenaires pour s’amuser aux milongas. Alors, pourquoi investir du temps, de l’effort et de l’argent dans des cours? Si le but est de socialiser et de danser, il a été atteint. Plusieurs danseurs sont contents à ce niveau et ne ressentent pas le besoin d’aller plus loin.
Certains toutefois veulent aller plus loin, percer le seuil suivant et devenir vraiment « avancés ». La plupart des danseurs rendus au niveau intermédiaire-avancé ont plusieurs fois approché le seuil quand, par chance ou à dessein, tout s’est mis en place avec facilité : les pas, l’équilibre, l’étreinte et la musicalité. Ils ont ressenti ce que ça devrait être, ce que ça pourrait être, et ils en veulent plus. Ces danseurs doivent trouver le moyen d’y parvenir ou ils vont finir par abandonner par frustration.
Pour la plupart, sauf les rares danseurs vraiment exceptionnels, la phase intermédiaire dure le plus longtemps. En moyenne, elle commence après environ un an, mais pour certains elle ne se termine jamais. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’améliorations pendant tout ce temps. Il y en aura, peut-être même beaucoup. Le niveau intermédiaire est très vaste et la plupart des danseurs s’améliorent et avancent au moins quelque peu. Mais vraiment franchir l’insaisissable seuil « avancé » ne se produira pas pour tout le monde, peu importe le temps que vous passerez à danser dans les milongas.
La phase avancée : Une fois qu’on devient vraiment avancé, il y a une nouvelle magie. Il y a toutes ces choses dont on a déjà entendu parler mais qu’on n’avait pas vraiment saisies, et maintenant, ça y est. C’est comme si on était finalement admis dans une société secrète et qu’on avait déchiffré les codes pour accéder à un nouveau niveau de compréhension et d’éveil. Nous dansons avec abandon, incarnons la musique, devenons « un » avec nos partenaires. Il y a encore et toujours de nouvelles découvertes à venir, mais elles sont à un tout autre niveau.
Ces années de dur labeur rapportent enfin et c’est si satisfaisant. C’est ici que les lumières s’allument et qu’on comprend par soi-même ce que nos professeurs ne cessaient de nous dire : que la technique est reine et nous libère pour apprécier la danse à un tout autre niveau. On réalise que les séquences et les mouvements sont secondaires non seulement à la technique mais aussi à la musicalité, à la connexion et à la gestion de la piste de danse. À ce point, on comprend vraiment que les habiletés et le plaisir sont une question du comment et non du quoi.
Il est rare qu’un danseur devienne vraiment avancé en moins de cinq ans, et comme je l’ai déjà dit, plusieurs ne le deviennent jamais.
J’aimerais avoir une solution magique universelle pour parvenir à cette percée mais je ne l’ai pas. En fin de compte, le travail ardu et chaque réalisation qu’on en retire est propre à chaque danseur. Comme professeur, je peux seulement guider et entraîner, je ne peux faire le travail pour vous. Je peux vous diriger dans la bonne direction et même vous guider le long du bon chemin, mais que vous atteigniez votre destination ou non dépend de vous. Comme écrivain et professeur, je vous suggère la recette suivante, mais c’est à vous de la faire.
Les quatre ingrédients essentiels pour atteindre cette percée au niveau avancé :
- Le talent. Certaines personnes franchissent la porte et les professeurs savent tout de suite qu’elles ont quelque chose de spécial. Elles se déplacent bien, intègrent les corrections presque instantanément et semblent comprendre dès le début comment l’ensemble fonctionne. Peut-être qu’elles ont pratiqué la danse toute leur vie et que très tôt elles ont développé leur force, leur axe et une conscience de leur corps; ou peut-être qu’elles l’ont tout simplement dans le sang. Ils ne sont pas musicien ni danseur (pas encore), mais ils ont le rythme dans leur corps et ils bougent comme s’ils étaient nés sur la piste de danse. Si vous avez ce talent, le reste sera plus facile. Mais encore, plusieurs personnes prennent ce talent pour acquis et elles sont des étudiants paresseux. Le talent aide certainement, mais en lui-même, ce n’est pas une garantie de génialité, en tango ou ailleurs.
- Le dur labeur. Ceci signifie que vous vous entrainerez régulièrement en dehors des milongas. D’abord, vous continuerez à prendre des cours, particulièrement des cours privés. Je dirais qu’à un moment donné ou à un autre, chaque personne qui a atteint le niveau avancé a pris des cours privés avec un bon professeur. Vous incorporerez aussi des entraînements autres que le tango pour améliorer des choses telles que votre posture, votre équilibre et votre force. Ceci peut vouloir dire que vous prendrez des cours de yoga, travaillerez avec un entraîneur personnel ou autre chose. La conscience du corps, un bon alignement, une bonne posture et des jambes fortes sont essentiels pour maîtriser le tango. Et vous demeurerez suffisamment humbles pour reconnaître que vous n’avez jamais fini d’apprendre. Peu importe à quel point vous êtes bon, vous pouvez toujours faire mieux. Alors n’arrêtez pas trop tôt de prendre des cours. En danses sociales, les gens arrêtent habituellement très tôt de prendre des cours, souvent après un an ou deux. Ce n’est pas le cas dans des disciplines telles que le ballet ou le yoga par exemple, où même les praticiens avancés continuent de suivre des cours pendant des années. Entretemps, la vaste majorité des danseurs de tango suivent quelques sessions de cours réguliers puis lèvent le nez aux offres de cours de leur studio local, optant d’aller seulement aux cours donnés dans les festivals par des maestros de passage, s’ils prennent encore des cours. Ne me méprenez pas, je profite aussi de ces occasions, mais elles coûtent cher et n’offrent aucun suivi. Il y a donc de fortes chances qu’elles soient un outil d’apprentissage moins profitable pour le danseur moyen que des cours réguliers avec un professeur de qualité. Tout ceci étant dit, le truc génial est qu’une fois qu’on a enfin franchi le seuil du niveau avancé, on peut commencer à apprendre par soi-même. À ce niveau vous avez une compréhension intégrale de votre propre corps et de ce qui constitue une bonne technique de tango, vous pouvez vous entraîner seul ou avec un/e partenaire et vous améliorer de façon autodidacte. Vous pouvez pratiquer sans être constamment observé par un professeur parce que vous pratiquez bien. Mais, comme tout danseur avancé le sait, des cours et du coaching périodiques par un maestro ou un collègue sont une nécessité. Même les meilleurs danseurs ont de mauvaises habitudes et ont parfois besoin d’un tiers pour leur faire remarquer.
- La détermination. Vous devez le vouloir et être disposé à y travailler. Ceci ne peut venir de personne d’autre que de vous-même. Par contre, certaines personnes ne ressentent pas cette détermination dès le début, mais un jour, pour une raison quelconque, ils se réveillent soudainement en ayant pris la ferme décision de « se rendre là », et feront le dur travail requis, stimulés par ses récompenses plutôt que d’être découragés par ses exigences. Cette action décisive est essentielle.
- Le temps. Des années d’expérience ne suffisent pas à faire de vous un danseur avancé. Nous connaissons tous des gens qui dansent depuis 15 ans dont la technique n’a pas bougé depuis 10 ans. Mais vous ne pouvez pas précipiter le processus non plus. Votre esprit et votre corps ont besoin de temps pour intégrer et absorber le travail que vous faites. Bien que pratiquer le tango trois fois par semaine sera certainement plus efficace qu’une seule fois par semaine, suivre 10 cours par semaine et danser chaque soir n’accélèrera pas nécessairement votre rythme d’apprentissage de façon exponentielle. Alors passez du temps sur la piste de danse, mais acceptez aussi que ça va tout simplement prendre du temps.
Vous devez trouver la bonne dose de travail, de temps et de détermination. Ajoutez une pincée de talent, et vous êtes en affaire.
Article précédent : Leçon no 8: Guider et suivre ne sont pas si différents.
Prochain article : Leçon no 10: Soyez clair sur ce que vous voulez.
Merci encore une fois, Andréa ! Ces articles sont encourageants et nous permettent de mieux comprendre cette belle danse qu'est le tango argentin !
ReplyDeleteTrès bon article :-)
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