Tuesday, 10 November 2015

C’est agréable d’être important, mais c’est plus important d’être agréable

Traduit par André Valiquette
Lire la version originale en anglais ici.

Quand une nouvelle venue reste assise toute la soirée en attendant d'être invitée,
les habitués ne savent peut-être pas ce qu'ils manquent.
Récemment, je me suis dit que notre communauté de tango, chez nous, aurait avantage à prendre à coeur la proposition mise de l’avant dans ce titre.

Une publication Facebook récente d’un danseur de notre région a déclenché une discussion passionnée pour avoir critiqué les organisateurs et les danseurs (particulièrement les danseurs masculins) de ne pas être plus ouverts à danser avec les nouveaux venus. Il pensait particulièrement aux touristes qui, peut-être, dans certaines milongas, ne reçoivent pas un accueil aussi chaleureux que possible, et la discussion a été relancée pour aborder le problème des nouveaux danseurs de quelques milongas et de ceux qui ne se sentent pas bien accueillis parce qu’ils ne font pas partie de la “crème” de telle ou telle milonga ou communauté. Ce n’était pas la première fois que ce danseur avait fustigé des danseurs pour avoir été trop exclusifs dans leurs invitations.

Beaucoup de danseurs ont commenté son point de vue, pour l’appuyer ou en rajouter, mais d’autres ont fait remarquer que le tango est une activité sociale que nous faisons par plaisir et que, donc, on ne devrait pas se sentir forcés de se taper des danses avec des gens avec qui on n’a pas envie de danser. Je suis d’accord que si un danseur est vraiment insupportable, nous avons toutes les raisons et le droit de nous en tenir loin, mais est-ce bien dans la catégorie “pénible” qu’on devrait ranger tous ceux qui sont juste dans la moyenne, ou sous notre propre niveau, ou encore débutants? Plusieurs de ces réactions font vraiment égocentriques, débordantes de “je-me-moi”. Oui, nous dansons le tango pour avoir du plaisir et nous amuser, mais c’est aussi une activité sociale qui s’inscrit dans une communauté et quand on danse, eh bien, on est deux. Alors, la joie, la satisfaction et le plaisir des autres ne devraient-ils pas être aussi importants que le nôtre?

La maxime que j’ai utilisée comme titre de ce billet, “C’est agréable d’être important, mais c’est plus important d’être agréable”, a été attribuée à beaucoup de gens, le plus souvent à l’homme d’affaires américain et milliardaire John Templeton, un des plus généreux philanthropes de l’histoire, et je crois que plusieurs d’entre nous auraient avantage à intégrer à notre pratique personnelle du tango un peu plus de cette générosité.

En contrepartie, il est important de se rappeler que le manque de générosité ne se vit pas qu’au masculin. Cela peut sembler le cas si on pense aux femmes qui attendent toute la soirée d’être invitées et ça a vraiment l’air de cela dans les milongas où les femmes sont en surnombre par rapport aux hommes, ce qui est souvent le cas. Mais les femmes peuvent être tout aussi sélectives, centrées sur elles-mêmes et égocentriques.

Récemment, mon partenaire et moi-même donnions une minileçon gratuite à des débutants pendant une milonga également gratuite, en plein air, que nous organisons chaque été. Il y avait deux jeunes hommes qui voulaient participer, mais ils n’avaient pas de partenaires. Mon partenaire a demandé à une femme que nous connaissons tous les deux et qui ne dansait pas à ce moment-là, si elle pouvait aider quelques minutes en dansant avec un des débutants. Sa réponse : “ Jamais! ” Je ne suis pas sûre si cela voulait dire qu’elle ne désirait jamais nous aider ou qu’elle n’aiderait jamais un débutant, mais de toute façon, pourquoi ne voudriez-vous jamais encourager un nouveau danseur? Son attitude n’aurait peut-être pas dû me surprendre, parce que cette même personne, après deux ans de cours, avait annoncé de façon arrogante, en ma présence, qu’elle ne prendrait plus de cours. Vu qu’elle était arrivée à un point où elle avait apparemment appris tout ce dont elle avait besoin, elle n’était pas intéressée à en aider d’autres à avancer.

C’est, à mon sens, un exemple extrême d’une attitude déjà trop répandue.

Une autre femme qui fréquente nos milongas levait les yeux au ciel en me regardant, juste après avoir refusé une danse, et disait: “ Pourquoi devrais-je me forcer? ” Je n’ai rien dit, j’ai seulement souri poliment, et je crois qu’elle a réalisé ce qu’elle avait laissé échapper, parce qu’elle a immédiatement essayé de se justifier en ajoutant, “ Je veux dire, tu es obligée de le faire parce que tu es une professeure, moi je n’ai pas à le faire ”.

Je n'étais pas impressionnée par son attitude, mais je dois admettre qu’elle m’a fait réfléchir. Est-ce que parfois je m’impose de danser avec un étudiant parce que c’est mon intérêt de leur faire plaisir? Oui, je suppose que ça arrive. Mais c’est aussi mon intérêt de ne pas me limiter à être une femme d’affaires, mais également une professeure – parce que je veux que mes étudiants pratiquent et se sentent encouragés – et une personne humaine – car j’essaie d’être une bonne personne qui se soucie du bien-être de mon entourage.

L’attitude qui consiste à ne pas “perdre notre temps” en dansant avec quelqu’un qui n’a pas notre niveau me semble inappropriée sur plusieurs plans. Premièrement, nous pouvons nous améliorer et, oui, même avoir du plaisir avec quelqu’un qui “n’a pas notre niveau”. Deuxièmement, est-ce vraiment une perte de temps que de contribuer à la joie et à l’avancement des autres?

Dans quelques communautés de tango, les gens ne dansent pas avec les nouveaux venus jusqu’à ce qu’ils les aient vus danser avec quelqu’un d’autre. Vous voyez, pour être sûrs qu’ils sont assez bons. Quand même, nous ne voudrions pas qu’un “bon” danseur, “cool” ou “populaire” nous voie danser avec quelqu’un qui est sous notre niveau, ce qui pourrait nous faire mal paraître et ternir notre réputation. Cette attitude empeste le snobisme et la suffisance. Est-il vraiment plus important de bien paraître que de contribuer à ce que des nouveaux se sentent bien accueillis? Et quel est le problème avec le fait de prendre ce risque de temps en temps? J’ai pris ces risques en acceptant de danser avec des gens que je n’avais pas observés auparavant. Cela veut dire que, de temps en temps, j’ai passé 12 minutes inconfortables. Mais j’ai aussi eu de délicieuses surprises et eu accès à des connexions nouvelles, formidables.

Dans la danse elle-même, la générosité est l’une des qualités essentielles d’un bon danseur, homme ou femme, guideur ou guidée. Les meilleurs danseurs qu’on peut rencontrer sont ceux qui s’oublient et font passer leur partenaire en premier. En d’autres mots, ceux qui modèrent leur ego et dansent avec générosité. Les gens qui ont un esprit généreux font passer les autres avant eux-mêmes; les danseurs de tango avec un esprit généreux font passer le plaisir de leur partenaire et leur bien-être avant le leur. Et la balle leur est retournée au bout du compte, car un danseur avec des partenaires heureux est sans aucun doute un danseur comblé.

Si, vraiment, vous êtes meilleur que les autres (SVP, surveillez votre ego quand vous vous autoévaluez), alors pourquoi ne pas leur offrir le plaisir et le bénéfice de votre expérience pour quelques minutes? Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que nous devrions nous forcer à danser avec quelqu’un avec qui cela s’annonce vraiment difficile ou avec une personne désagréable, mais plutôt qu’une danse occasionnelle avec une personne nouvelle ou moins expérimentée peut générer des retombées positives à long terme. Cela peut les encourager à persévérer dans le tango ou à travailler plus fort pour améliorer leur danse, et nous aurons contribué à élargir la communauté du tango dans son ensemble tout autant que nous aurons apporté du plaisir et des compétences à un danseur en particulier.

La plupart des gens qui dansent le tango à un niveau avancé prennent cette activité au sérieux. Si cela nous amène à travailler fort pour améliorer nos compétences, cela nous permettra d’être de meilleurs danseurs et contribuera à l’évolution de notre danse elle-même. Mais tout en continuant de prendre notre art au sérieux, il est important de ne pas se perdre et de ne pas se prendre trop au sérieux. Rappelons-nous que nous sommes tous là pour avoir du plaisir, et pour partager ce plaisir.

Nous pouvons retirer beaucoup en aidant quelqu’un d’autre. Et il nous reste bien peu lorsque nous devenons égoïstes. L’égoïsme entrave notre capacité d’apprendre, alors que la générosité génère de l’ouverture d’esprit, une attitude qui facilite l’apprentissage, la croissance, et notre amélioration et celle de nos partenaires, pour nous donner, en bout de piste, plus de plaisir.

3 comments:

  1. Andréa, je suis tout à fait d'accord avec toi. De carrière, je suis enseignant (de formation, en éducation physique). Je danse le tango depuis bientôt 20 ans. Je ne suis pas un grand danseur, mais j'ai eu grand plaisir au fil des années à initier quelques hommes et plusieurs femmes au tango. Et je le fais encore par pur plaisir (même si je suis sorti de l'enseignement, l'enseignant en moi est toujours présent).

    Au fil des années, plusieurs femmes m'ont rappelé que j'avais été leur premier partenaire de tango à leur faire danser leur premier tango et à leur partager cet amour que j'ai pour la danse. Je danse depuis l'âge de 17 ans.

    J'ai plaisir à faire danser des visages inconnus ou des débutantes. Curieusement, récemment, j'ai vu un couple (c'est ce que je pensais) arriver à la soirée du samedi chez Air de Tango. Belle, grand, élégante, blonde, les cheveux longs. Elle était là, assise depuis un bon bout de temps lorsque,elle s'est levée et, tranquillement, elle est venu vers moi à ma grande surprise. Il faut dire que j'ai peu dansé ce soir là puisque je venais de terminer un bon rhume. Nous avons donc danser ensemble et elle était, de loin, une excellente partenaire. Ancienne danseuse de ballet, elle était accompagnée de son collègue de travail qui ne dansait pas. Elle était à Montréal pour représenter une compagnie de voyage de Roumanie. Elle parlait un excellent français.

    Nous avons dansé à deux reprises, et, par la suite, elle s'est faite invitée par plusieurs excellents danseurs présents.

    J'écris cette anecdote pour illustrer le propos de Andréa. Il n'en tient qu'à nous à faire bonne réputation à Montréal.

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  2. Comme il a été fait pour les codes de tango sur la piste de danse peut-etre qu'une chartre du bon danseur (ou de la bonne danseuse) de tango pourrait étre écrite, calligraphiée et exposée/distribuée...

    Cette chartre en quelques points serait simplement basée les éléments de cet article, sur le rappel que tous et toutes ont été débutants ou parfois visiteurs ailleurs que sur leur circuit habituel et simplement pour le developpement/rayonnement du tango à Montréal.

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  3. Merci, beaucoup, Yves et Sohel, pour avoir pris le temps de lire, réfléchir et partager vos pensées. Je vous écoute!

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