À partir du moment où vous réaliserez mieux comment vous bougez, il vous sera plus facile de faire de légers ajustements qui amélioreront votre pratique et transposables dans votre vie quotidienne. |
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Si nous voulons danser le tango, nous devrions savoir ce que nous faisons avec notre corps. Ça peut avoir l’air évident, mais ce n’est pas le cas pour bien du monde.
Souvent, les gens viennent à leur première leçon de tango et sont surpris par le genre de commentaires qu’ils reçoivent à propos de leur façon de danser. Non seulement doivent-ils apprendre des pas et des séquences et le faire en synchronisation avec leurs partenaires, mais encore ils ont à se soucier de choses comme de réunir leurs pieds entre les pas, d’ajuster la longueur de leurs pas, de positionner leurs bras et leurs épaules d’une certaine façon, de tourner le torse dans une direction ou une autre, de regarder dans une certaine direction, et ainsi de suite. Cela peut paraître assez déroutant pour ceux qui n’ont pas l’habitude de se déplacer en tenant compte de ce type de paramètres. Les étudiants peuvent facilement tomber sur la défensive devant les commentaires du professeur (“Comment peut-elle savoir si je pousse dans le plancher… et quelle importance ça peut bien avoir, de toute façon?”), et se sentir frustrés devant ce qu’ils perçoivent comme étant des critiques de ce qu’ils “font mal”. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’objectif des corrections n’est pas (ou ne devrait pas être) de critiquer l’étudiant ou de s’attendre à ce qu’il fasse tout parfaitement au prochain essai; il s’agit plutôt de construire petit à petit une conscience de sa façon de bouger et de l’aider à s’ajuster et à améliorer ses mouvements.
À l’exception de danses très techniques comme le ballet classique ou la danse contemporaine, beaucoup de gens commencent le tango (et d’autres danses sociales) à l’âge adulte, plusieurs dans la cinquantaine et au-delà, et pas mal d’entre eux sans expérience de la danse ou de disciplines connexes. Le tango exerce un attrait sur beaucoup d’intellectuels et de professionnels, des gens qui passent une partie de leur vie dans des jeux de l’esprit plutôt que physiques; en d’autres mots, des gens qui n’habitent pas complètement leur corps.
Bien sûr, nous nous servons tous de notre corps quotidiennement. Nous savons que nous marchons en mettant un pied devant l’autre, mais peut-être que nous n’avons jamais pensé à la façon dont nous plaçons nos pieds sur le plancher, comment ils épousent la surface à chaque pas, si nos orteils doivent être orientés vers l’intérieur ou l’extérieur, si notre poids doit être davantage sur nos talons ou nos orteils, sur la face intérieure ou extérieure de nos pieds…
Une situation fréquente qui se présente avec des étudiants est cette propension à orienter leurs orteils vers l’intérieur lorsqu’ils marchent. Je peux leur dire 20 fois de rapprocher leurs talons, d’aligner les orteils vers l’extérieur ou de garder le gros orteil sur le plancher, mais mes corrections ne sont pas vraiment comprises si l’étudiant ne sait tout simplement pas que ses orteils sont, dans les faits, tournés vers l’intérieur. Je vois que c’est ce qui se passe quand mes commentaires sont reçus avec un air de confusion ou de perplexité. Alors, ce que je dois faire est d’immobiliser l’étudiant, à mi-chemin de compléter un mouvement, et de l’amener à regarder à terre la position de ses pieds, qu’il peut très bien ressentir comme une position tout à fait naturelle et correcte dans la mesure où c’est comme cela qu’il a toujours marché. À partir du moment où il a saisi le changement de position qu’il doit apporter, je l’amène à fermer les yeux et à ressentir l’ancienne et la nouvelle position. Ce n’est qu’en mesurant cette différence qu’il peut s’encourager à transformer sa position.
J’ai déjà travaillé avec un professeur qui était convaincu qu’il n’était pas utile de décortiquer et d’expliquer les techniques des mouvements. Il croyait qu’on pouvait se contenter d’enseigner les pas et les séquences et que, si les étudiants répétaient ces pas assez souvent, leur corps finirait par s’adapter et parviendrait à les exécuter correctement.
En fait, cette méthode peut fonctionner avec des danseurs plus expérimentés et avec ceux qui ont instinctivement cette familiarité avec leur corps et une habileté naturelle à reproduire un mouvement parce qu’ils saisissent d’un regard l’essence du mouvement, mais ces gens ne sont pas nombreux dans le monde du tango. Cette méthode ne marche pas pour ceux qui ne connaissent pas au départ la mécanique de leurs mouvements, ce qui est le cas, rappelons-le, d’un bon pourcentage des étudiants de tango.
À partir du moment où vous réaliserez mieux comment vous bougez et comment vous essayez de vous y prendre, il vous sera plus facile de faire de légers ajustements qui amélioreront votre pratique et transposables dans votre vie quotidienne. Par exemple, si vous avez tendance à faire le dos rond et à courber les épaules, entraîner votre corps à se tenir plus droit et à garder les épaules baissées renforcera vos muscles dorsaux, vous donnant une meilleure posture; et cela, pas seulement sur le plancher de danse, mais dans vos activités de tous les jours.
Si nous saisissons que l’important n’est pas la fin du parcours, mais le travail que nous entreprenons, nous pouvons éliminer pas mal de frustrations et de sentiment d’impatience qui surgissent dans ce travail sans fin d’apprentissage.
Les danseurs de tango social (à la différence des professeurs ou des danseurs de tango de spectacle) n’ont pas besoin d’être préoccupés par une exécution parfaite ou par l’effet esthétique de chacun de leurs mouvements. La bonne nouvelle est que même si la plupart d’entre nous n’avons pas à nous soucier vraiment de l’aspect visuel de notre danse, si nous travaillons notre technique sur le plan fonctionnel, en fin de compte, nous créerons un résultat esthétique plus intéressant.
Progresser en tango n’implique pas d’atteindre la perfection, mais de développer notre conscience. Ce n’est pas de tout faire bien à chaque fois, mais de savoir ce que l’on devrait ressentir lorsqu’on le fait bien, et de chercher à recréer cette sensation naturellement.
Alors cette conscience concerne davantage la sensation que la pensée. Nous pouvons toujours comprendre intellectuellement comment un mouvement ou une position devrait se mettre en place, mais c’est un défi différent pour le corps de vraiment l’exécuter, et ensuite le corps a besoin de le répéter encore et encore jusqu’à ce que la nouvelle façon de bouger devienne naturelle et qu’on n’ait même plus à y penser.
Il y a des gens, ceux que j’appelle les “faiseurs”, qui apprennent les mouvements corporellement en premier, en les faisant, et ensuite ils les analysent, les déconstruisent, les comprennent et les mémorisent. D’autres gens, appelons-les les “penseurs”, ont besoin de comprendre un mouvement dans leur tête dans un premier temps et ensuite de “l’enseigner” à leur corps. Les “faiseurs” auront peut être plus de facilité à apprendre le tango, parce qu’ils ont une conscience corporelle innée et qu’ils font les choses instinctivement dès le départ. Mais les “penseurs” vont y parvenir aussi; cela prendra seulement un peu plus de temps, en particulier dans les débuts, lorsqu’ils commencent tout juste à développer cette conscience.
Continuons avec les bonnes nouvelles : la pratique ne nous entraîne pas seulement à apprendre la danse, elle nous apprend à apprendre, de sorte qu’à mesure que croît la familiarité avec nos mouvements corporels, nous apprenons vraiment plus vite et plus facilement. Pour accompagner ce processus, nous pouvons nous rendre attentifs à simplement remarquer comment notre corps ressent les mouvements que nous exécutons – sur le plancher de danse et à d’autres moments – et ensuite essayer de reproduire ces sensations chaque fois que c’est possible.
Bien sûr, dans le tango, nous n’avons pas seulement besoin de connaître nos propres mouvements, mais aussi ceux de nos partenaires. Cela est vrai tant pour les guideurs que les guidées. Pour les guideurs, ce peut être utile de retenir qu’être conscient des réactions de leur partenaire passe en fait avant tout. L’erreur que font plusieurs guideurs est d’essayer trop fort de contrôler les mouvements de leurs partenaires plutôt que de simplement porter attention à leurs gestes et à leurs réactions et d’y donner suite dans la danse. C’est aux guidées d’exécuter leurs propres mouvements et de créer leur propre danse, tout en gardant une conscience claire de la position de leurs partenaires, de ce qu’elles ressentent et de la façon dont leur corps incarne le mouvement.
Nous devons aussi être conscients de l’impact de nos positions et de nos mouvements sur nos partenaires. Est-ce que mon abrazo la pousse ou la tire hors de son axe? Est-ce que la position de ma tête pourrait causer un inconfort? Est-ce que mes pas sont si longs que je suis difficile à accompagner? À partir du moment où nous nous en rendons compte, nous pouvons commencer à nous ajuster.
Et ensuite, bien sûr, nous pouvons garder une partie de notre éveil envers ce qui se passe autour de nous et pour l’effet que nous avons sur les autres danseurs. Si nous sommes conscients, nous plus attentifs à la circulation sur la piste de danse. Les danseurs qui ignorent les autres sont dangereux pour les autres.
La perfection en tango (ou dans quoi que ce soit) est inatteignable, alors ce n’est pas la peine de la rechercher ou de se sentir frustré de ne pas l’atteindre. Et nous devons connaître et respecter nos limites. Si nous commençons le tango à l’âge de 70 ans, il est possible que nous ne progressions pas aussi rapidement ou allions aussi loin qu’une personne qui a commencé à l’âge de 25. Si nous ne sommes pas dotés d’une flexibilité naturelle, nos boleos pourraient ne pas être aussi impressionnants que ceux d’une fille qui danse le ballet depuis son tout jeune âge et qui peut faire de grands écarts sans effort. Nous devrons faire des ajustements particuliers si nous sommes très grands ou très courts de taille, ou si nous avons des blessures persistantes. Mais nous pouvons tous nous améliorer et nous finirons par en savoir assez pour, au minimum, bien nous tenir sur le plancher de danse. Nous avons seulement besoin de patience, de désir d’y arriver et, par-dessus tout, de conscience.
Postscriptum. Le jour où j’ai terminé la rédaction de ce blogue, une danseuse est venue me confier une nouvelle expérience : elle était sortie danser la nuit précédente et pour la première fois, elle s’était sentie capable de s’abandonner à la danse tout en restant alerte sur sa posture et sa technique. Elle m’a rapporté cela, car j’étais intervenue à ce sujet dans une classe plus tôt la même semaine en mentionnant spécifiquement, je crois, comment se servir des muscles du dos pour allonger sa posture tout en faisant retomber les épaules. Elle me disait avoir ressenti qu’elle avait atteint un nouveau palier dans sa pratique de la danse et que cela “concernait vraiment la conscience corporelle”. C’est bien le cas, ai-je répondu, tout en lui promettant que j’intégrerais ses commentaires dans mon prochain blogue!
Voici quelques moyens d’accroître votre conscience corporelle :
Yoga, Pilates ou Tai Chi. Le yoga est mon complément préféré pour le tango et prend une place toujours plus importante dans ma vie, mais toutes les disciplines "corps et esprit" augmentent la force, l’équilibre, la souplesse et par-dessus tout, la conscience corporelle. Au même titre que le tango, le yoga n’est pas, ou ne devrait pas être, orienté vers ce qui est “correct” ou “incorrect” ou inciter à atteindre la version maximale de chaque pose; son atout est d’éveiller une meilleure familiarité corporelle et de travailler avec son corps pour améliorer tous les aspects mentionnés.Les leçons privées. L’enseignement personnalisé a une valeur inestimable. Un bon professeur vous donnera une rétroaction dont vous pourrez profiter et des techniques que vous pourrez pratiquer par vous-même. Quand vous prenez des leçons et recevez une rétroaction de vos professeurs, en particulier quand vous entendez les mêmes remarques régulièrement, apprenez à vous analyser et à vous conseiller comme le fait votre professeur. Essayez de ne pas vous placer sur la défensive ou de vous décourager et soyez plutôt votre propre conseiller, en révisant votre posture pour vérifier si vos épaules sont relevées, vos hanches sont en avant ou vos genoux trop tendus. Les professeurs répètent les mêmes observations, non dans le but de vous contrarier, mais parce que cette répétition est essentielle pour modifier les habitudes de toute une vie. Vous-mêmes pouvez prendre en main votre éducation corporelle par la méthode des exercices répétés.
Se filmer. C’est dur pour l’ego, mais se regarder danser est une excellente façon de réaliser la façon dont on bouge vraiment et ce dont on a le plus besoin ou ce sur quoi on choisira de travailler.
Pratique quotidienne. Vous n’avez pas à danser le tango chaque jour (mais ça ne serait pas une mauvaise idée) mais rester simplement attentifs à votre mécanique corporelle et ensuite aux légers ajustements de posture et de mouvements dans votre train-train quotidien; cela vous aidera à mettre de nouvelles habitudes en place. Remarquez comment vous vous tenez quand vous vous brossez les dents, préparez le souper ou attendez votre tour à la banque. À partir du moment où vous devenez conscients de vos faiblesses et des mouvements ou enchaînements que vous voulez travailler et ce à quoi cela devrait ressembler, vous entamez un processus de réflexion et d’amélioration continue, que ce soit une ou cent fois par jour. Avec le temps, les nouvelles habitudes remplaceront les anciennes et vous prendrez de la vitesse pour vous corriger et vous ajuster par vous-mêmes, souvent sans vraiment y accorder beaucoup d’attention. Vous apprendrez à danser et à vivre avec conscience toujours plus élevée de votre posture et de vos positions corporelles.
Merci André, c'est un article fort intéressant - et merci pour votre traduction.
ReplyDeleteMerci!
DeleteExcellente réflexion, juste en tous points. Et bravo au traducteur.
ReplyDeleteSigné: Robert Verge
Merci, Robert. Et je passerai tes commentaires à André.
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