Thursday 5 July 2018

Vingt leçons de tango : Sixième partie : La quête de la vérité


Chaque danseur de tango est différent, chacun est également
convaincu de la vérité de sa perspective.
Traduit par François Camus et Francine Bérubé

Lire le texte originale en anglais ici.

Pour souligner ma 20e année à danser le tango, j’ai retenu 20 leçons que j’ai apprises au cours des 20 dernières années dans, à travers, ou au sujet de cette danse pleine de complexités et de contradictions. Voici ma prochaine « leçon ».

Leçon no 6 : La vérité du tango est… insaisissable. La vérité existe peut-être, mais je ne l’ai pas encore trouvée, et vous auriez de la difficulté à me convaincre que quiconque l’a trouvée.

Au cours de mes deux décennies à la recherche de la grande vérité du tango, j’en ai trouvé plusieurs petites, et quelques-unes d’entre elles semblent se contredire de prime abord : la connexion est la chose la plus importante; la technique est la chose la plus importante; l’étreinte est tout; la posture est tout, la musicalité est tout; les pas en premier, ensuite la technique; la technique en premier, ensuite les pas; pas de séquences, seulement de l’improvisation; les séquences en premier, ensuite l’improvisation; se concentrer sur les mains et les pieds puis le reste viendra; se concentrer sur son centre et le reste viendra; la clé pour une bonne posture est la position du pelvis; la clé pour une bonne posture est la position des omoplates; la clé pour une bonne posture est la position de la tête...

La recherche de la vérité est comme la recherche de la méthode d’enseignement parfaite. Chaque professeur croit avoir la meilleure méthode, mais en même temps, les méthodes de chaque professeur évoluent. Je peux vous dire par expérience qu’à chaque étape de cette évolution nous avons le sentiment d’avoir saisi une nouvelle grande vérité. Mais un mois ou dix ans plus tard ces vérités se transforment à nouveau. Est-ce que cela signifie que nous étions en erreur l’année précédente et que cette fois nous avons enfin raison? Nous le pensons probablement, mais le professeur situé à l’autre bout de la ville qui vient de découvrir sa nouvelle vérité le pense aussi.

Certains professeurs sont totalement contre l’enseignement de tout « pas de base » ou autre séquence pré-formatée, tandis que d’autres ne croient pas en l’enseignement de la technique, parce qu’ils croient que les élèves développeront une bonne technique par eux-mêmes à force de répéter les mouvements et les séquences. Est-ce qu’une approche est meilleure que l’autre, ou plus « vraie » que l’autre?

En vérité, tandis qu’une approche peut convenir tout à fait à un étudiant, elle peut être tout à fait inadéquate pour un autre. Différentes personnes apprennent différemment et, en bout de ligne, les professeurs doivent utiliser différentes approches dans leur enseignement et les étudiants doivent trouver le professeur qui convient le mieux à leur style d’apprentissage.

Tandis qu’un étudiant visuel aurait avantage à regarder le professeur démontrer un mouvement plusieurs fois, un étudiant auditif préférerait entendre une description et une explication détaillées. Pendant ce temps, un apprenti kinesthésique serait avide d’essayer les pas lui-même et voudra imiter le professeur pendant qu’il fait la démonstration plutôt que de regarder. D’autre part, les gens intéressés par les détails vont saisir différemment de ceux qui saisissent rapidement l’image globale. Chacun profitera d’une approche d’enseignement différente et développera dans un ordre différent les divers groupes d’habiletés tels qu’apprendre ou mémoriser les séquences, la technique de marche, la connexion guideur-guidée, la musicalité et la gestion du plancher de danse.

Il y a des professeurs, des danseurs et même des chorégraphes qui ne croient pas au comptage des temps musicaux et qui se fient plutôt à des indices ou repères musicaux parce que selon eux, le comptage rend la danse trop mécanique. Ils prônent de ressentir la musique pour que votre danse soit musicale. Cela a du sens. Mais il y a ceux qui ont besoin de tout compter. D’autres prônent d’apprendre à structurer votre danse selon la musique et que le ressenti viendra avec le temps. Cela aussi a du sens. Alors, y a-t-il une bonne méthode?

La meilleure approche pour enseigner et danser inclus probablement un peu de tout : un peu de technique et des pas amusants enseignés en utilisant des démonstrations et des explications, avec beaucoup de temps de pratique. Et même là, les proportions changeront dans le temps et avec chaque individu.

Il y a aussi les camps divisés des goûts musicaux : « Tout ce qui a été composé depuis 1955 est sans valeur! » versus « Plus de deux tandas consécutives de l’âge d’or est ennuyeux et répétitif! » Je peux vous dire que chaque camp a ses goûts très à cœur et que chacun est convaincu de tenir la vérité au sujet de la musique de tango. Je pense alors à un danseur que je connais qui a des goûts que je considère très traditionnels (Fresedo-Ray, D'Agostino-Vargas, Laurenz, Maffia...). Il connaît les orchestres de tango mieux que la plupart des danseurs, il aime les classiques de l’Âge d’or et il se roule les yeux lorsqu’on joue quelque chose de grand et de dramatique comme Varela. En même temps, il n’a aucun problème à danser sur l’une de mes tandas alternative très marginale comme Tom Waits. Alors quels goûts musicaux sont les bons?

L’expérience du tango n’est pas la même pour tout le monde. Je pourrais diviser les danseurs de tango en trois groupes principaux : les danseurs « sociaux », les artistes ou danseurs de performance, et les étudiants perpétuels.

Puisqu’à l’origine le tango était une danse sociale et l’est encore, les danseurs « sociaux » sont de loin le groupe prédominant. On retrouve toutes sortes de gens dans ce groupe, mais je les divise en deux sous-groupes. Il y a les gourmands, ceux qui considèrent qu’une bonne soirée en est une où ils ont dansé presque toutes les tandas. Ces danseurs sont sur le plancher autant que possible, dansant avec autant de partenaires que possible, s’assoyant rarement pour discuter et n’allant presque jamais au bar pour prendre un verre. Ces danseurs du type de buffet « tout-ce-que-vous-pouvez-danser » sont regardés de haut par les danseurs pointilleux du type gourmet. Les membres de ce groupe recherchent toujours la qualité plutôt que la quantité. Ils dansent des tandas sélectionnées avec des partenaires sélectionnés. Ils tiennent mordicus aux códigos (protocoles) et ils passent autant de temps à socialiser entre eux qu’à danser. Ils sont souvent de très bons danseurs et sont conséquemment très convaincus qu’ils possèdent la vérité, mais d’autres les accusent d’exclusion, de snobisme et d’élitisme.

Peu importe qui a raison, ils oublient tous que les danseurs ne sont pas tous des danseurs « sociaux ». Certains danseurs professionnels passent tellement de temps à s’entraîner, à faire des tournées et à donner des prestations qu’ils viennent rarement dans les milongas. Et si l’on parle des danseurs de scène, un grand nombre de danseurs « sociaux » rejettent ce qu’ils font comme n’étant pas du « vrai » tango, parce que c’est trop chorégraphié, tape-à-l’œil ou acrobatique. Mais ces danseurs de scène ont des habiletés bien au-delà de ce que la plupart des danseurs peuvent espérer atteindre. Alors qui parmi nous sont de vrais danseurs?

Parlant de danseurs qui ne vont jamais aux milongas, j’ai des étudiants qui prennent régulièrement des cours depuis des années, certains d’entre eux sont devenus très compétents en cours de route mais ils ne sortent jamais danser en société. Peut-être que leur style de vie (enfant, carrière, conjoint qui ne danse pas) ne se prête pas à aller dans les clubs de tango tard dans la nuit, ou peut-être que le monde du tango « social » ne les attire pas même s’ils aiment la musique et le processus d’apprentissage. Est-ce que cela fait qu’ils en sont moins des danseurs de tango?

En fait, tous ces danseurs sont des danseurs de tango, même si leurs habiletés, leurs buts, leur vision et leur expérience du tango sont largement différents.

Je suppose que la vérité du tango se situe quelque part dans un équilibre entre simple plaisir et travail ardu, mouvements tape-à-l’œil et bonne technique, discipline et créativité, tradition et évolution. Il n’y a peut-être pas une grande vérité, mais la quête nous mènera à de grandes découvertes.

Article précédent :
Leçon no 5: Oui, vous avez besoin de pas.

Prochain article :
Leçon no 7: Vous avez besoin d’avoir la peau dure pour danser le tango.

4 comments:

  1. Encore une fois très intéressant. Philosophe du tango?! Ceci dit affectueusement! Quant à ma vérité c'est la quête du plaisir. Celui que me donne la bonne musique (subjectif!), la musique qui me dit lêve-toi et danse et celui que me donne la partenaire qui interprète la musique de la même façon (quelque soit son niveau).

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  2. Merci, Andréa, c'est toujours tout un plaisir de te lire... et c'est tellement vrai!

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  3. What a great piece of writing and so insightful.

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  4. Le merveilleux monde du tango en est un d'une fascinante complexité. Et Andréa réussit bien à débroussailler et à le communiquer clairement. Bravo! Très intéressant, et éclairant aussi quant à qui nous sommes en tant que danseur. Merci :)

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