Wednesday, 22 May 2019

Vingt leçons de tango : Huitième partie : Tous les danseurs devraient apprendre à guider et à suivre

Il y a un mythe chez certains guideurs masculins à l'effet que les femmes
qui apprennent à guider gâtent leur habileté à suivre. Je n'y crois pas.

Traduit par François Camus 

Lire le texte originale en anglais ici 

Pour souligner ma 20e année à danser le tango, j’ai retenu 20 leçons que j’ai apprises par l’intermédiaire de ce jeu de donner et recevoir, exprimer et écouter, guider et suivre.

Leçon no 8 : Guider et suivre ne sont pas si différents.

Une des meilleures choses que vous pouvez faire pour améliorer votre danse est d’apprendre les deux rôles. Les danseurs qui le font parviennent à mieux exprimer et écouter, donner et recevoir, sans égard à leur rôle initial ou préféré. Conséquemment, ils connectent de manière plus complète avec leur partenaire.

La technique est la technique, et la connexion est la connexion. Au plan physique, il y a peu ou pas de différence. Par contre, au plan des processus mentaux des deux rôles il y a certaines différences. Les guideurs doivent planifier et naviguer. Ils doivent aussi avoir une forme de compréhension des pas de leur partenaire que les guidées n’ont pas à avoir.

J’aimerais donner un conseil à ceux qui veulent apprendre l’autre rôle : n’essayez pas de changer votre technique quand vous changez de rôle. Améliorez votre posture, votre étreinte, votre musicalité et toute autre chose que vous avez à travailler. Toute amélioration s’appliquera à n’importe quel rôle que vous danserez.

Certaines personnes craignent de nuire à leur danse en explorant l’autre rôle. Je pense que c’est rare, et lorsque cela se produit, c’est probablement parce qu’elles sont trop accrochées à la terminologie « guideur » et « guidée ». Je pense que ces termes sont limitant, problématiques, même préjudiciables. Je crois que ces simples mots sont l’une des principales raisons pour lesquelles certains danseurs sont hésitants à apprendre l’autre rôle. Ces mots ne communiquent pas adéquatement ce que sont vraiment les deux rôles ni combien ils ont en commun. Pour en savoir plus sur ce sujet, vous pouvez lire mon article sur la terminologie problématique (en anglais). En bref, guider et suivre contiennent chacun une bonne dose de l’autre, et les meilleurs danseurs utilisent les deux à leur avantage. Les meilleurs guideurs sont réceptifs et les meilleures guidées sont expressives. Travailler ces deux qualités ajoutera certainement une autre grande qualité à votre danse : un esprit joueur.

Une solution possible est que les professeurs enseignent les deux rôles à tout le monde dès le début. Il y a des professeurs qui le font et je pense que c’est une approche intéressante. Ce n’est pas mon approche pour plusieurs raisons, incluant le fait que la plupart des étudiants qui franchissent la porte ne veulent pas apprendre les deux rôles. Pas encore! Cela nécessiterait aussi une réorganisation de toute ma structure d’enseignement dans une mesure que je ne suis pas encore prête à investir. Finalement, je ne suis pas convaincue que d’enseigner les deux rôles dès le début est nécessairement mieux que le système traditionnel d’un seul rôle. Chaque méthode a certainement ses points forts et, comme pour toutes les méthodes, aucune n’est idéale pour tout le monde.

Dans tous les cas, je pense qu’il est généralement accepté que d’apprendre à suivre améliore les habiletés de guidage. Comment cela pourrait-il ne pas l’être? Puisque les guideurs ont besoin de comprendre les pas et les mouvements de leurs partenaires, il est tout à fait logique qu’ils les apprennent. Pour paraphraser une expression très connue, la meilleure façon de faire l’expérience de la réalité d’une autre personne est de marcher un mille dans ses chaussures.

À l’inverse, que les guidées vont s’améliorer en apprenant à guider est moins accepté. Un mythe cours parmi certains guideurs masculins à l’effet que les femmes qui apprennent à guider gâtent leurs habiletés à suivre. Les hommes qui croient cela proclament même avoir des preuves anecdotiques pour appuyer leurs croyances. Désolé les gars, je n’achète pas ça. D’abord, les professeurs sont parmi les danseurs les plus habiles, guideurs ou guidées, et la plupart, sinon tous, dansent les deux rôles. Je sais que d’avoir appris à guider a grandement contribué à l’ensemble de mes habiletés de danse, et conséquemment à mes habiletés de guidée. Toutefois, apprendre un nouveau rôle, comme apprendre n’importe quelle nouvelle technique en danse, requiert du travail et un effort mental. Pendant que nous sommes dans le processus d’apprendre et de perfectionner quelque chose de nouveau, une grande part de notre attention est absorbée par cette nouvelle habileté. Il se peut alors que notre connexion en souffre mais ce n’est que temporaire. C’est exactement ce que tous les nouveaux guideurs éprouvent. Ils sont trop occupés à comprendre les pas et à naviguer la piste de danse pour être bien connectés ou danser vraiment. Une fois les bases du rôle bien acquises et, peut-être le plus important, une fois que le danseur développe la conviction qu’il ou elle sait ce qu’il ou elle fait, il/elle peut alors lâcher prise et penser à son/sa partenaire.

Les guideurs féminins sont aussi critiquées pour leurs habiletés à naviguer. Certains guideurs masculins disent que les femmes sont des « pilotes dangereux ». Encore une fois, cela dépend en partie de l’endroit où elles se trouvent sur la courbe d’apprentissage en tant que guideurs. Bien sûr, il y a des guideurs féminins qui sont dangereuses et qui ne respectent pas la « ronda », mais il y a beaucoup de « pilotes » masculins imprévisibles aussi mais ils passent inaperçus parce qu’ils se fondent avec la majorité. Je suppose que c’est un bon moment de rappeler à tous que l’art de gérer la piste et la ligne de danse ne devrait pas être quelque chose auquel on pense après-coup. C’est tout aussi important que les mouvements de danse et la musicalité. Quand on apprend à conduire une voiture, apprendre à suivre le trafic, faire des virages ainsi que des changements de voie en toute sécurité sont aussi importants qu’apprendre comment le véhicule lui-même fonctionne. Ça devrait être la même chose sur la piste de danse. Peu importe votre genre, je dis à tous les guideurs : développez vos habiletés à naviguer et dansez en respectant les autres autour de vous.

Tout ceci étant dit, certaines personnes aiment danser les deux rôles alors que d’autres ont une forte préférence pour l’un des rôles. Personnellement, j’aime guider et j’ai travaillé fort au cours des ans pour développer de bonnes habiletés à guider, mais je n’éprouve toujours pas le même bonheur en guidant que lorsque je suis guidée. Je savoure la sensation d’abandon dans mon rôle premier. Quand je guide, je suis beaucoup plus dans ma tête, et je crois que le suis déjà bien assez dans ma vie quotidienne!

Je ne dis pas que tout le monde devrait maîtriser les deux rôles ou les danser à parts égales, mais je pense que nous devrions tous en faire l’expérience à un certain moment afin de développer une compréhension minimale de ce que notre partenaire ressent et de ce dont il a besoin. Et qui sait, si vous l’essayez, vous pourriez être surpris de découvrir à quel point vous aimez ça.

Prochain article : Leçon no 9 : Le niveau intermédiaire est le plus difficile à surpasser.

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