Depuis que la pandémie nous a rejoint, respirer facilement semble appartenir au passé. |
Traduit par André Valiquette
Lire la version originale en anglais ici
Cette traduction a été publiée le 30 avril, deux semaines après la version originale. La situation (confinement, incertitude etc.) n’a pas beaucoup changé depuis, mais ma respiration va beaucoup mieux. Je suppose que je me suis ajustée au « nouveau normal » et qu'avoir recommencé à écrire a vraiment aidé!
Jusqu’à présent, les publications de mon blogue qui s'appelle « La vie est un tango » ont proposé des réflexions sur le tango qui touchent aussi la vie.
Cet article est une réflexion sur la vie qui peut aussi s’appliquer au tango.
Une des choses les plus difficiles pour moi durant cette épisode de distanciation sociale a été de retrouver un nouvel équilibre dans mon quotidien et dans ma vie. Mes difficultés sont légères, comparées à ceux qui ont perdu un être cher ou que la quarantaine a isolé complètement, mais elles ont tout de même eu un impact sur moi.
Tout d’abord, depuis le début de ces événements, dès le jour - il y a un peu plus d’un mois - où nous avons décidé de fermer les portes de notre école de tango, je n’ai pas été capable de respirer vraiment à l’aise. J’ai tendance à être anxieuse et je suis habituée, de temps à autre, d’avoir des journées où j’ai le souffle court ou comprimé au niveau de la poitrine - comme si je n’arrivais pas à remplir mes poumons - mais je ne m’en fais pas car c’est clairement relié à des changements hormonaux mensuels et je sais par expérience que je vais retrouver une respiration normale après un jour ou deux. Une fois l’an dernier, cela a persisté pendant cinq jours et, comme c’est le cas présentement, la relaxation et les exercices de respiration et d’expiration yoga n’ont rien pu y faire, mais finalement je me suis replacée après cinq jours.
Une fois, il y a six ou sept ans, j’ai eu carrément une attaque d’anxiété, quelque chose d’un peu effrayant. Je pense que j'avais eu une grosse dispute avec mon fils et mon conjoint et j'étais juste hors de moi avec colère. J’ai décidé de relâcher la tension en allant courir, ce que je faisais régulièrement, mais après avoir parcouru trois coins de rue, j’ai senti soudainement mes poumons se refermer complètement. Je n’arrivais pas à respirer au-delà d’un mince filet d’air, j’étais paniquée. Je me suis immobilisée, j’ai posé mes mains sur ma poitrine et je me suis penchée vers l’avant, et quelqu’un qui venait juste de sortir de chez lui m’a demandé si ça allait. Je suis arrivé à lui dire en haletant que je ne pouvais respirer et il m’a invitée à m’assoir sur le muret de son allée et m’a demandé s’il devait appeler une ambulance. Une fois assise, ça n‘a pas pris beaucoup de temps pour que je sente la tension se relâcher dans ma poitrine et j’ai progressivement senti que je pouvais respirer à nouveau, un peu plus à chaque contraction, alors je lui ai répondu de ne pas appeler à l’aide, que je n’habitais pas loin et que je pouvais retourner à la maison. Tout cela a probablement duré cinq minutes, mais ça m’a paru une éternité et j’espère que ça ne se reproduira jamais.
Je reviens à la période actuelle : je lutte avec cette tension constante dans la poitrine, à des degrés divers mais à peu près tous les jours depuis le 13 mars et je passe une bonne part de mon énergie mentale et émotionnelle à essayer d’en éclaircir les causes et les solutions.
J’ai arrêté de boire des breuvages caféinés (laissez-moi vous dire que la tisane à la menthe le matin n’arrive pas à la cheville d’un bon expresso!), j’ai essayé tour à tour de faire moins ou davantage d’exercice (j’ai recommencé à courir - de courtes distances - il y a deux semaines et ça semble aider ou en tout cas ça ne nuit pas) et je consacre moins de temps aux réseaux sociaux. Je fais aussi attention de me réserver à chaque jour assez de temps pour me délasser.
Je sais que pour une partie des gens, le défi avec l’isolement est de trouver des choses à faire. Mais dans mon cas, je suis loin d’être seule : je ne suis pas en quarantaine, je sors pour courir ou marcher chaque jour, je vis avec les trois autres membres de ma famille et quelques animaux de compagnie, alors il y a plein de vie et d’interactions dans mes journées. On fait l’épicerie pour mes parents et mon oncle, ce qui prend déjà une journée par semaine et on prend le temps de les voir - brièvement et à une distance de deux mètres, bien sûr - et je parle à des amis au téléphone, par courriel et en visioconférence. Wolf, mon partenaire, et moi-même donnons des cours en ligne, ce qui nous permet d’être en contact avec une partie de la communauté qui nous manque, même si ce n’est pas en présentiel.
Je ne manque pas de projets. Comme je le disais, nous faisons un peu d’enseignement, et ça inclut un bon temps de préparation, et nous organisons et enseignons avec de nouveaux moyens (je préfère sans aucun doute l’enseignement en présentiel plutôt que sur un écran!). Je suis aussi DJ en ligne une fois par semaine, ce qui implique d’installer, d’ajuster et de préparer chaque fois un nouveau contenu de programme musical. Et à la maison, il y a beaucoup de nettoyage à faire et de bouches à nourrir, sans oublier les chambres qu’on aimerait repeindre et autres projets amusants comme les rapports d’impôt.
J’avais prévu utiliser ce nouveau « temps libre » pour commencer à écrire sérieusement, mais ce texte un peu décousu est ma première vraie tentative. Mon cerveau s'est senti plein et embrouillé ces dernières semaines, si bien que ça été difficile de trouver le temps de rassembler mes idées et d’en faire quelque chose. Alors, souvent, je regarde Netflix quand je n’ai pas l’énergie de faire autre chose. Tout ça pour dire que l’ennui et le confinement ne sont probablement pas à la source de mes problèmes respiratoires.
Ce matin, en promenant le chien, je me suis dit que c’est peut-être mon incapacité à trouver un équilibre qui fait problème. À titre de propriétaire d’une petite entreprise, la répartition de mon temps va toujours davantage du côté du travail, mais ce débalancement est compensé par le fait que je suis passionnée par ce que je fais et que je tire beaucoup de plaisir de bien des aspects de mon travail.
En fait, je suis tellement habituée d’être dix fois plus occupée que je ne le suis actuellement, de savoir que je vais finir mes journées avec une liste encore plus longue de choses à faire et d’avoir un sens ultra-aiguisé des priorités quotidiennes, que je pense ne pas savoir combiner un ralentissement de mon rythme avec les priorités habituelles. Je me donne le droit de relâcher la tension les dimanches : pas de projets, pas de médias. Mais le lundi, la tension dans ma poitrine est aussi forte qu’elle était.
Bien sûr, la persistance de cette respiration laborieuse m’amène elle-même à être anxieuse. Au début, je ne pouvais pas m’empêcher de penser : « Peut-être que j’ai le COVID-19! ». C’est idiot, bien sûr, et je le sais - je n’ai pas de symptômes apparentés, j’ai déjà éprouvé ces problèmes auparavant et ça a duré trop longtemps - mais est-ce qu’on peut raisonner tranquillement quand on est réveillée dans le lit à 3 h du matin? Et surtout, c’est simplement difficile de relaxer et de profiter de mon temps libre retrouvé quand je fais continuellement un effort pour respirer normalement ou pour ignorer le fait que je ne peux pas.
Je sais que l’incertitude du futur me pèse lourdement (je suppose que c’est une des définitions de l’anxiété). Je me demande quand et comment une activité comme le tango pourra reprendre. Notre genre de commerce sera certainement parmi les derniers à réouvrir et, à partir de ce moment-là, est-ce que tout recommencera comme avant? Les danseurs s'embrasseront-ils comme avant ou auront-ils peur des abrazos qui leur manquent tant? Est-ce que la société sortira de cette pandémie plus réticente à se rapprocher des étrangers? Est-ce qu’un ralentissement économique fera que les gens auront moins d’argent pour des leçons de tango et des milongas?
Et même si je comprends que la situation est inédite et compliquée pour nos dirigeants comme pour nous (et de façon générale ils font un bon travail), je me suis sentie frustrée devant des informations vagues ou contradictoires qu’ils nous transmettent. La semaine dernière, nos leaders aux niveaux provincial et fédéral ont prononcé des discours sur l’après-confinement qui, à mon avis, étaient remplis de contradictions : l’un d’entre eux nous dit que la vie normale ne va pas reprendre avant Noël (c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il y ait un vaccin), mais qu’un certain nombre d’activités vont revenir à la normale! OK, merci, c’est très clair. L’autre nous dit qu’ici au Québec, on va bientôt atteindre le pic de la pandémie. C’est reçu comme une bonne nouvelle, et bientôt on pourra réouvrir les commerces - en autant qu’on respecte la distanciation de deux mètres. Alors, quels commerces? Certainement pas le tango. Ou les gyms. Ou les salons de coiffure. Ou les bars. Et comment pourrions-nous penser à rouvrir un commerce bientôt quand le nombre de cas confirmés dans cette province est 700 fois plus élevé que lorsque nous avons fermé nos portes? Et que dire des écoles? Ma fille adolescente est à la maison plutôt qu’à l’école, supposément jusqu’au 1er mai. Je ne peux pas imaginer que nos écoles vont rouvrir dans deux semaines, surtout qu’on n’a pas eu le moindre compte-rendu à ce sujet ni de nos gouvernements ni des établissements scolaires depuis qu’ils sont fermés. Est-ce que les classes reprendront cette année ou non? Si les enfants ne peuvent aller à l’école, les tangueros ne peuvent pas aller à l'école de tango.
Alors oui, le futur apparaît très incertain et oui, ça m’embête. Mais sur le plan intellectuel, je ne suis pas tant préoccupée que ça. J’ai confiance que nous - ma famille, mon entreprise et mon pays - allons passer à travers, même si nous ne savons pas exactement quand et comment à ce moment-ci. Alors je ne sais pas si vivre dans l’incertitude est la chose qui m’empêche de bien respirer.
Qu’est-ce que tout cela nous apprend - ou m’apprend - sur le tango? Bon, d’abord, ça me rappelle les vertus thérapeutiques du tango. J’ai parlé de quelques-unes d’entre elles auparavant, particulièrement dans mon texte à propos du tango et de la méditation, et j’ai donné une fois une conférence sur le tango et la réduction du stress. Pour faire court, une des choses qui m’a amenée au tango est le fait que c’est l’une des rares activités où je peux vraiment lâcher prise. Quand la musique et la connexion sont à leur meilleur, je trouve ça facile de m’abandonner et d’oublier mes préoccupations. C’est merveilleux - et merveilleusement thérapeutique.
Ces derniers jours, peu importe à quel degré j’arrive à relaxer, je suis toujours consciente du fait que je ne peux respirer à l’aise. Le yoga peut aider, et j’en fais à tous les jours, mais le problème c'est qu'en yoga on met continuellement l’attention sur notre respiration, alors, même si je travaille sur mon souffle de différentes façons, je ne peux faire abstraction du problème. Quelques distractions peuvent être mises à contribution : un épisode prenant de « La Casa de Papel », une séance d'enseignement de tango satisfaisante ou une bonne nuit de sommeil apportent tous un soulagement temporaire, mais rien autant qu’une belle tanda ne me retire complètement des réalités quotidiennes et des facteurs de stress.
Pour revenir sur l’idée de l’équilibre - et ma difficulté actuelle avec ça - je pourrais dire que si l’équilibre est un ingrédient essentiel du tango, le tango est clairement un ingrédient essentiel pour l'équilibre dans ma vie.
P.-S. - Maintenant que j’ai publié ce texte, je me souviens des bienfaits thérapeutiques de l’écriture : j’ai travaillé sur cette publication pendant trois jours et depuis le deuxième je respire mieux. Est-ce qu’il y aurait un lien?
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