Friday 24 April 2020

Vingt leçons de tango : Onzième partie : Apprendre à abandonner le plan

La beauté du tango réside dans son imprévisibilité.

Traduit par François Camus
Lire le texte originale en anglais ici

En 2017 j'ai souligné mes 20 ans en tango en écrivant une série de 20 articles, ou leçons, apprises par cet art d’improvisation qui n’est jamais le même d’une danse à l’autre.

Leçon no 11 : Acceptez que les choses n’aillent pas toujours tel que planifié.
Quand vous vous sentez déçus et frustrés dans la vie, c’est souvent parce qu’il est arrivé quelque chose non seulement de déplaisant mais aussi d’inattendu. Par exemple, vous aviez à coeur d’aller à votre restaurant italien préféré mais à votre arrivée il était fermé. Alors vous trouvez un plan B, et l’une de deux choses se produit :
  1. Vous ne vous installez jamais tout à fait, parce que c’est plus bruyant que l’autre resto, ou le menu n’est pas ce que vous aviez anticipé toute la journée. Non seulement vous avez de la difficulté à apprécier votre repas, l’ambiance ou même la compagnie, mais vous ressentez un agaçant ressentiment envers l’autre restaurant parce que c’est stupide qu’il soit fermé ce soir-là, et ils devraient mieux annoncer leurs heures d’ouverture pour éviter de faire vivre une telle situation aux gens. Vos plans sont contrecarrés et votre soirée est plus ou moins ruinée.
  2. Vous absorbez l’énergie de ce resto occupé et décidez d‘essayer un met que vous n’avez jamais goûté auparavant. Cela s’avère intéressant, sinon être la meilleure chose que vous ayez jamais goûtée. Entretemps, les entrées et le vin sont délicieux, vous et vos amis avez du plaisir à écouter les conversations bizarres à la table voisine. Vous planifiez toujours une visite à votre petit resto intime dans un avenir rapproché, mais vous avez ajouté un nouveau resto à votre liste. De plus, vous prenez note mentalement d’appeler à l’avance la prochaine fois, ce qui vous évitera de vous buter à une porte fermée ainsi que le temps d’attente quand vous arrivez sans réservation.
C’est un exemple de deux façons complètement différentes de vivre le même événement selon votre façon de percevoir et de réagir. Permettez au ressentiment de peser lourdement sur des changements inattendus et il sera très difficile d’avoir du bon temps peu importe ce qu’il adviendra, mais lâchez prise du plan initial et qui sait ce qui pourrait advenir?

Danser dans une milonga est une question de mettre de côté le plan initial et de s’adapter à de nouvelles situations inattendues, constamment en évolution.

Les guideurs apprennent cela très tôt, ou du moins devraient l’apprendre. Essentiellement, un guideur habile a toujours un plan, mais il est expert à s’adapter aux situations inattendues et à changer le plan à tout moment. Oui, la piste de danse est parfois bondée; parfois elle est absolument chaotique. C’est la réalité du tango. Si vous ne pouvez accepter qu’une large part de pratiquer une danse totalement improvisée est d’apprendre à réagir et à vous adapter à ce qui se passe autour de vous, il sera difficile d’avoir du plaisir lorsqu’il y a d’autres couples sur la piste de danse.

Avec votre partenaire, des erreurs surviendront, et le plus vite vous pouvez accepter cela, le plus vite vous apprécierez le tango. Trouver des façons créatives de se sortir d’une situation embêtante peut même être un défi amusant. Je suis certaine que la moitié des nouveaux mouvements qui ont été inventés se sont d’abord produits accidentellement, et une grande part de mes adornos se produisent lorsque je tente de masquer des faux pas.

Si vous me connaissez ou avez déjà lu mon blogue, vous savez que je n’aime vraiment, mais vraiment pas lorsque les danseurs corrigent ou enseignent à leurs partenaires. Les guideurs qui corrigent leurs guidées, qui font des commentaires au sujet de ce qu’elles étaient « supposées » faire sont trop attachés à leur plan initial et sont incapables de simplement s’adapter et poursuivre. C’est tellement plus agréable de danser avec quelqu’un qui rit des erreurs inévitables et des effets bizarres qui en résultent. La même chose s’applique aux guideurs qui sont constamment agacés par tous les danseurs autour d’eux. La réalité est que le tango est imprévisible, alors pourquoi s’encombrer de la frustration? En fait, la beauté du tango réside dans son imprévisibilité. C’est ce qui le garde frais et nouveau, malgré le fait que l’on tourne et tourne autour de la même piste de danse, sur la même musique encore et encore.

J’ai dansé une fois avec un danseur qui a littéralement critiqué tous les danseurs autour de nous sur la piste de danse pendant toute la tanda. Celui-ci n’avançait pas assez, celui-là était trop près derrière nous, les gens en général n’avançaient pas assez vite. Il était tellement désagréable de danser avec lui par ses critiques incessantes que, des années plus tard, je m’en souviens encore. Imaginez passer sa vie comme ça, constamment agacé et frustré par tout ce qui se passe autour de vous? Je pense qu’il serait difficile d’éprouver du plaisir de quoi que ce soit.

Souvent, les guidées s’accrochent trop à leurs doutes et à leurs insécurités à savoir quelle était l’intention de leur guideur : « Est-ce que c’était bien? », « Est-ce ce qu’il voulait faire? » La réponse est : « Ça n’a pas d’importance. » Ce qui est fait, est fait, et c’est aux deux partenaires de simplement poursuivre à partir de là.

Ça, c’est sur la piste de danse, mais en dehors de la piste, l’inattendu peut aussi se produire. Tout comme dans l’exemple du restaurant donné ci haut, vous pouvez ne pas avoir la soirée que vous aviez anticipée, mais si vous êtes ouverts à ce qui se présente, vous pouvez toujours avoir du bon temps. Vous n’avez pas dansé autant de tandas que vous aviez espéré? Peut-être que cette soirée était plus une question de savourer l’ambiance que de remplir votre carnet de danse. Vous n’avez pas reçu de cabeceo de la personne avec laquelle vous souhaitiez le plus danser? Peut-être que vous avez fait la soirée d’une autre personne lorsqu’elle a intercepté le vôtre.

Le tango (et aussi le yoga, mais ça c’est le sujet d’un autre article) m’a vraiment aidé à prendre conscience que plusieurs des moments frustrants de la vie se résument à la capacité de laisser aller le plan. Cette habileté est directement liée à la capacité de vivre pleinement dans l’ici et maintenant, sujet que j’ai couvert en détail dans mon article intitulé Profitez de chaque moment.

Si vous vivez déjà dans l’instant et suivez l’air d’aller, cet aspect du tango peut vous venir assez facilement, comme ça m’est venu lorsque j’ai commencé. Mais si lâcher prise et rouler sous les coups vous est difficile, peut-être que ce seront des leçons de vie que le tango vous apprendra.

Article précédent : Leçon no 10: Soyez clairs sur ce que vous voulez.
Prochain article : Leçon no 12: Traitez bien vos pieds.

1 comment:

  1. Un des meilleurs articles de cette série, à mon sens, qui illustre très bien que "la vie est un tango" :-)

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